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tentative républicaine opérée en 41 par les meurtriers de Caligula lui aurait démontré que seul le gouvernement impérial était possible désormais ; il se serait alors résigné à une monarchie tempérée par les vertus du monarque, et, après une longue période d’attente et de souffrance pendant la première partie du règne de Claude, aurait espéré réaliser son idéal par l’éducation de Néron. Toutes ces assertions, en gros, ne sont pas fausses, mais peut-être quelques-unes d’entre elles ont-elles besoin de réserves ou de retouches.

On pourrait se demander, par exemple, si le père de Sénèque a été aussi obstinément « républicain » que le dit M. Waltz : il est douteux que ce bourgeois de province, très sensé et très pratique, se soit acharné à souhaiter la résurrection impossible d’un passé disparu à jamais, qu’il ait fermé les yeux sur les services que le gouvernement d’Auguste avait rendus à l’ordre et à la paix. On peut croire aussi que M. Waltz exagère, en sens inverse cette fois, dans ce qu’il dit des tendances monarchistes des stoïciens : il est très vrai que dans leur doctrine, comme dans celle de Platon ou d’Aristote, la domination d’un roi juste et sage était préconisée comme le gouvernement idéal ; mais c’était là une préférence toute théorique, qui n’enchaînait pas, dans la vie réelle, le libre choix de leurs disciples ; parmi ceux-ci, il y eut des monarchistes convaincus, il y eut aussi des défenseurs passionnés du régime républicain, — ne fût-ce que Caton et Brutus ! — Si donc Sénèque fut partisan de l’Empire, ce ne fut pas à cause de son stoïcisme, mais pour d’autres raisons ; nous croyons d’ailleurs qu’il le fut, et même, nous irions volontiers plus loin que M. Waltz, qui lui prête je ne sais quelles velléités, sinon « républicaines, » au moins « libérales, » et qui le représente comme une sorte de « rallié. » Nous verrions plutôt en lui un monarchiste de conviction, et non de résignation. Ce n’est qu’une nuance, et cependant elle est assez importante pour que l’on nous permette de la préciser.

On ne trouve pas facilement quel motif aurait eu Sénèque de regretter beaucoup la forme républicaine. L’ancien gouvernement, si l’on écarte les fictions constitutionnelles, était avant tout la domination d’une coterie de grands seigneurs. À cette oligarchie, souvent oppressive, toujours égoïste, Sénèque n’appartenait ni par sa naissance, ni par ses alliances ; au contraire, toute sa famille avait à se louer du régime nouveau : lui