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détermination de l’intelligence par où elle conçoit cela même que le langage traditionnel appelle Dieu, à savoir l’union immédiate de la perfection et de l’existence. Et l’amour qu’enveloppe la morale est une détermination du sentiment qui dépasse la puissance purement naturelle de la volonté. On aime comme on peut, non comme on veut : ainsi parle la nature. Le commandement d’aimer, s’il a un sens, vient d’une puissance plus haute que la nature livrée à elle-même.

Et, en fait, si l’on considère un certain phénomène historique qui, communément, est tenu pour une religion, je veux dire le christianisme, on y voit mises au premier rang les trois vertus que suppose la morale.

« Nous ne cheminons pas à la lumière des sens, mais de la foi, » dit saint Paul (2 Cor., V, 7). Jésus, en effet, réprimandait en ces termes les incrédules qui, des choses divines, demandent des preuves visibles : « Si vous ne voyez des signes et des miracles, vous ne croyez pas… Heureux ceux qui, ne voyant pas, croient ! » (Saint Jean, IV, 48 ; XX, 29.)

« Que ton règne vienne ! Que ta volonté se fasse sur la terre comme elle est réalisée au ciel ! » lisons-nous dans la prière enseignée par Jésus à ses disciples. Cette prière n’implique-t-elle pas que Dieu est essentiellement la volonté efficace du Bien ?

Enfin le Dieu de l’Évangile est amour ; et son amour, descendant dans l’âme de ceux qui se tournent vers lui, devient l’amour des hommes les uns pour les autres. « L’amour, dit saint Jean (1 Jean IV, 7 sqq.), vient de Dieu… Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et son amour est accompli en nous. »

Si la morale réelle, vivante, efficace, capable de progrès indéfini, contient des élémens auxquels il faut reconnaître un caractère religieux, il ne s’ensuit pas qu’elle rentre purement et simplement dans la religion. Il y a dans les religions nombre d’élémens auxquels la morale proprement dite n’est pas nécessairement liée : ce sont les déterminations particulières des dogmes et des rites. Est-ce à dire que l’attitude qui sied à la morale, au sujet de ces élémens, soit l’indifférence pure et simple, ou même l’hostilité ?

Bien que les dogmes et les rites ne se confondent pas avec l’essence de la’ religion, ils n’en sont pas moins indispensables pour que la religion soit saisissable à notre conscience,