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dans le consulat une dignité purement honorifique. Il est bien possible que Sénèque, en composant le « discours du trône » de 54, ait usé, lui aussi, de cette phraséologie conventionnelle qui ne prouvait rien et n’engageait à rien. D’ailleurs, quand on y regarde de plus près, ce discours innove moins qu’il ne paraît innover ; il ne parle pas d’étendre les attributions du Sénat, il dit simplement : « Le Sénat conservera ses anciens droits. » Or, ces droits, il est bien vrai qu’ils avaient souvent été méconnus en pratique ; mais, légalement, ils n’avaient jamais été abrogés. Néron, — ou plutôt Sénèque, par son intermédiaire, — promettait d’appliquer en toute loyauté la constitution existante, non de la réformer. Et cette constitution, quoi qu’aient imaginé à ce sujet les écrivains modernes, et quelque abus qu’ils aient fait de leur fameux mot de « dyarchie, » il ne faut pas oublier qu’aux yeux des anciens elle était nettement monarchique.

Si l’interprétation du discours de Néron est contestable celle du traité De la Clémence est fort claire. Le souverain y est décrit comme « tenant la place des dieux sur la terre ; » il a entre les mains le droit de vie et de mort sur tous les peuples ; sur un signe de lui, des milliers de glaives peuvent être tirés du fourreau, ou des milliers d’hommes chassés de leur résidence ; il est dans l’Etat ce que l’âme est dans l’organisme humain. Et ce n’est pas seulement un état de fait que Sénèque constate. Pour lui, la monarchie est de droit naturel, puisqu’elle existe dans les sociétés animales. C’est la meilleure forme de gouvernement : on y jouit de toutes les libertés, sauf celle de courir à sa perte. Elle est surtout indispensable au maintien de la « paix romaine, » et Sénèque insiste fortement sur le rapport nécessaire entre l’étendue de l’empire et la nature monarchique du gouvernement : « Si jamais notre peuple secoue le frein, ou bien, en ayant été délivré un moment, se refuse à le subir de nouveau, l’unité de cet immense Etat s’éparpillera en mille morceaux ; Rome cessera de commander le jour où elle cessera d’obéir. » Voilà, exprimée en termes catégoriques, et fondée sur des raisonnemens en bonne et due forme, toute une théorie monarchiste. Sénèque ne l’a pas sans doute formulée pour le seul Néron, qui n’avait pas besoin d’être convaincu sur ce point. Il l’adressait bien plutôt à la société éclairée, toujours curieuse de ses ouvrages, et d’autant plus empressée à accueillir celui-ci qu’il empruntait à la haute situation de son auteur une