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importance exceptionnelle. C’était comme un second manifeste, où Sénèque pouvait parler plus librement que dans l’allocution de 54, et il en profitait, on le voit, pour faire une déclaration franchement impérialiste.

Cette déclaration ne fut, du reste, démentie par aucun acte. Dans ses rouages essentiels, le mécanisme gouvernemental resta ce qu’il avait été sous les précédons empereurs. Pour la rédaction des lois, pour le recrutement des magistrats, tout se passa comme au temps de Tibère, de Caligula et de Claude. Le seul changement notable porta sur la nomination des fonctionnaires chargés de surveiller le trésor public. A l’époque d’Auguste, le Sénat élisait deux « préfets du trésor » parmi les anciens préteurs. Sous Claude, cet usage avait pris fin, et les finances avaient été dirigées par des questeurs, — des hommes plus jeunes par conséquent, — choisis directement par le prince. Le gouvernement de Sénèque imagina une combinaison mixte : les préfets du trésor furent pris parmi les anciens préteurs, comme sous Auguste, mais nommés par l’empereur, comme sous Claude. C’était une conciliation, sans doute, mais au profit de l’autorité monarchique, et non à son détriment. Quant au rôle du Sénat comme haut tribunal administratif, civil et criminel, il ne fut nullement modifié : l’empereur ne restreignit aucune des prérogatives sénatoriales, mais n’abandonna non plus aucune des siennes.

Il y avait, dans l’allocution prononcée par Néron lors de son avènement, une phrase beaucoup plus importante que celle où l’on a cru voir un projet de « monarchie constitutionnelle : » c’est celle où il déclarait que désormais il y aurait séparation absolue entre la maison privée du prince et l’Etat. Par ces mots, le jeune empereur condamnait ce qui avait été la pratique constante de ses prédécesseurs et surtout de Claude, l’abandon du pouvoir à des femmes, à des favoris ou à des affranchis. Ces derniers en particulier avaient été, pendant tout le dernier règne, les vrais maîtres de Rome : Claude avait été leur esclave, Messaline leur victime, et Agrippine n’avait pu tenir tête au plus puissant de tous, Narcisse, qu’avec l’appui des autres, de Pallas et de Calliste. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher si la domination de ces affranchis avait été aussi funeste qu’on le croit, si d’utiles mesures n’avaient pas été prises à leur instigation, si nous avons raison de partager à leur égard la sévérité des