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Rome subsistèrent toutes : les femmes, les enfans, les affranchis, les esclaves, ne virent nullement adoucir leur situation juridique. On peut s’en étonner, car enfin Sénèque était stoïcien, et c’est justement sous l’influence du stoïcisme que devait se faire au siècle suivant la grande réforme du code romain. Comment, avec la même foi philosophique, n’a-t-il pas essaye d’ébaucher la tâche que devaient accomplir les empereurs et les juristes du IIe siècle, les Hadrien et les Marc-Aurèle, les Caius et les Papinien : introduire dans l’antique législation formaliste un esprit de raison, de justice et d’humanité ? Peut-être ni le prince ni le Sénat ne s’y seraient-ils prêtés alors ; peut-être aussi Sénèque lui-même, amateur de philosophie plutôt que théoricien, recula-t-il devant une refonte systématique des lois ; peut-être enfin s’était-il trop mêlé à la vie des hautes classes pour ne pas en épouser inconsciemment les préjugés, pour ne pas accepter les abus sur lesquels reposait l’état de choses existant, et qu’une longue accoutumance avait rendus pour ainsi dire naturels. Lorsque, par exemple, pendant son ministère, après le meurtre du préfet de la ville, Pedanius Secundus, on discuta pour savoir s’il fallait appliquer ou abroger la loi d’après laquelle tous les esclaves, comme suspects de complicité, devaient être livrés à la torture, le gouvernement n’intervint pas dans le débat ; le Sénat maintint en vigueur l’antique usage dans toute son atrocité, et l’empereur laissa faire. Que pensait Sénèque à ce sujet ? estimait-il, avec la majorité conservatrice, que cette répression plus que sévère était indispensable à la sécurité des maîtres ? ou bien, tout en blâmant en son for intérieur une rigueur aussi inhumaine, ne se sentait-il pas la force de s’y opposer ? Quoi qu’il en soit, cet incident, à lui seul, montre qu’il n’eut rien d’un révolutionnaire, et qu’il ne songea pas plus à bouleverser la société qu’à transformer le gouvernement.

Il se contenta de faire une besogne beaucoup plus simple, plus humble en apparence, en fait plus utile peut-être. Il s’appliqua, aidé de collaborateurs judicieusement choisis, à faire pénétrer dans tous les actes de la politique journalière des sentimens de loyauté et de bienveillance. Il administra en honnête homme, on pourrait presque dire en brave homme. Il renonça aux procès de lèse-majesté, dont on avait fait et dont on devait faire encore un si terrible usage contre les citoyens les plus innocens ; il refusa de donner suite à certaines accusations qui