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est cependant bien bâti. La force de résistance des porteurs lourdement chargés, qui franchissent avec une agilité d’isards les déclivités les plus rapides, étonne le voyageur ; les hommes sont des marcheurs qui ne connaissent pas la fatigue, et les femmes sont de robustes ménagères qui perdent trop promptement leur sveltesse et leur grâce nonchalante. Mais, si les uns et les autres sont prolifiques, la mortalité infantile est énorme ; la fièvre, la tuberculose, la misère physiologique n’épargnent guère les adultes, et les vieillards sont de rares exceptions.

Malheureusement, les populations de l’île semblent aussi éloignées qu’autrefois du bien-être matériel qui serait le seul remède efficace. Dans ce pays où la possession d’un grand nombre de bœufs, à défaut d’esclaves, est désormais l’unique preuve d’une richesse que l’état précaire de l’exportation ne permet pas de développer, c’est à tort que l’on attribue aux indigènes en général, aux Hovas en particulier, la précieuse faculté de l’épargne. On croit trop que les Malgaches entassent dans des cachettes mystérieuses une invraisemblable quantité de piastres dont la contemplation solitaire suffit encore à leurs désirs ; on explique ainsi par l’appât de trésors fabuleux enfermés dans les tombes les violations de sépultures qui se produisent parfois. Si l’indigène thésaurise, c’est, comme le Chinois ou l’Annamite, en prévision de sa mort ; c’est pour se faire construire un mausolée monumental où il dormira son dernier sommeil dans un linceul précieux. S’il est quelque peu frotté de civilisation européenne, il fera aussi transformer sa masure en maison de briques à la toiture de tuiles, mais il ne modifiera guère les conditions de son existence. D’une manière générale, d’ailleurs, le Malgache est imprévoyant ou prodigue : les vastes propriétés foncières, les objets de valeur qui appartenaient aux grands seigneurs de l’ancien régime, s’en vont par morceaux, au vent des hypothèques et des emprunts usuraires, enrichir les Européens. Tant que la France n’aura pas jeté dans l’île, sous forme de subventions ou souscriptions d’emprunts pour l’exécution de travaux publics, plusieurs centaines de millions dont la plus grande partie devra se répandre dans le pays sous forme de salaires, l’indigène restera vraisemblablement pauvre. Une population où les entrepreneurs trouvent, surtout dans le Sud, autant de main-d’œuvre qu’ils le désirent pour 0 fr. 20 ou 0 fr. 30 par jour, où les mineurs exécutant des travaux de fond se