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dont les vignobles étaient célèbres. Plus loin, au bas d’un contrefort des Apennins, voici Césène. La ville, autrefois sur la hauteur, est descendue peu à peu dans la vallée, mais sans plan, au hasard, ce qui lui donne un aspect irrégulier très original. Le site est des plus agréables, avec sa couronne de vertes collines dominées, l’une par un couvent de Bénédictins, l’autre par les restes d’une imposante forteresse. Sur une troisième, un peu plus loin, s’élève Santa Maria del Monte, église de la Renaissance que l’on attribue à Bramante. À cause d’un beau pont sur le Savio et d’une fontaine du XVIe siècle que l’on fait jouer les jours de fête, Césène est parfois appelée la ville del monte, del ponte e del fonte, quelquefois aussi dei tre papi en souvenir des papes qui y naquirent. Comment est-elle si délaissée des voyageurs cette cité qui peut leur offrir, outre son charme pittoresque, l’une des plus jolies bibliothèques d’Italie ? Peu de constructions de la Renaissance sont mieux comprises que ce palais, construit en 1452, par Matteo Nuzio, pour Malatesta Novello, frère du seigneur de Rimini. Il comprend plusieurs pièces où sont entassés livres et manuscrits précieux dont quelques-uns servirent pour les célèbres éditions classiques imprimées par le Vénitien Aide Manuce. La grande salle, de quarante mètres de long, est une galerie à trois nefs, soutenue par d’élégantes colonnes cannelées en marbre blanc du mont Codruzzo. L’heureuse disposition de l’édifice était si nouvelle alors que Michel-Ange s’en inspira sur beaucoup de points pour sa bibliothèque des Médicis.

Après Césène, on franchit une série de petits ruisseaux qui, tous, réclament la gloire d’avoir été le vrai Rubicon. Le Pisciatello qu’on traverse d’abord, le Fiumicino qui baigne la verdoyante Savignano entourée de hauts peupliers, l’Uso où se mire le château de Sant’ Arcangelo, se disputent et probablement se disputeront toujours cet honneur. Chaque cité invoque Strabon, Pline, les géographes de l’antiquité ou du moyen âge pour faire triompher ses prétentions. Il est probable que le problème ne sera jamais résolu. Mais que nous importe ? Voici les tours de Rimini. Voici la ligne bleue de l’Adriatique et les voiles d’ocre, de rouille ou de pourpre que gonfle le vent d’Orient.