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VII. — RIMINI

Rimini : pour combien ces harmonieuses syllabes ne rappellent-elles qu’une tragédie amoureuse et qu’un vers d’un poème immortel ? Peu d’histoires sont, en effet, plus populaires et inspirèrent plus d’artistes que la malheureuse passion de Paolo et de Francesca. Cela tient à l’admirable récit de Dante et beaucoup aussi à ce que la scène rapportée par le poète est, dans sa brièveté, un drame saisissant de volupté et de mort. Quels amans ne plaignirent et n’envièrent ceux qu’un même poignard unit dans la tombe ? Dante lui-même est indulgent aux coupables et souhaite le pardon ; il les excuse presque et met la faute au compte du destin, invoquant l’instinct vainqueur qui pousse les sexes l’un vers l’autre… Où d’ailleurs, mieux qu’ici, apprendrions-nous que l’amour est la meilleure raison de vivre et le plus sûr moyen de ne pas mourir dans la mémoire des hommes ? N’est-ce pas ce que nous enseigne cette église de San Francesco, élevée par Sigismond Pandolphe à Isotta, qui fut d’abord sa maîtresse et qu’il épousa, après avoir répudié sa première femme, fille d’un comte de Carmagnola, empoisonné la seconde, Ginevra d’Esté et étranglé la troisième, Polyxène, fille naturelle d’un Sforza ?

Si l’on comprend la passion de Paolo pour Francesca qu’on peut supposer désirable, on se demande encore le secret de l’attachement que garda le farouche Malatesta à Isotta Degli Atti, fille d’un bourgeois de Rimini. Tous les portraits que nous avons d’elle, les médailles de Matteo da Pasti et de Pisanello, la statue de l’archange saint Michel auquel Ciuffagni donna ses traits, le buste en marbre du Campo Santo de Pise nous la représentent sans beauté et sans grâce. Elle devait être intelligente et instruite. Avait-elle « toutes les hautes qualités du gouverneraient » comme le déclare Clémentini ? C’est possible. Peut-être sut-elle capter Sigismond simplement par la tendresse à la fois voluptueuse et tranquille d’une femme qui connaît les violences et les lassitudes du désir de l’homme. D’ailleurs, comment comprendrions-nous tout à fait les âmes si complexes de ces tyrans qui ne reculaient devant aucun crime et qui, parfois, faisaient preuve de la plus touchante délicatesse et du goût le plus raffiné ? Par une de ces fréquentes anomalies de la nature humaine,