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les plus vils et les plus cruels furent aussi les plus éclairés. Pour nous, le jugement que l’histoire porte sur eux ne nous empêche pas de les aimer : ils commandèrent de beaux monumens et furent d’incomparables protecteurs de l’art et des artistes. Parmi eux, nul n’est plus saisissant que Sigismond Pandolphe Malatesta qui


Mit à sang la Romagne et la Marche et le Golfe,
Bâtit un temple, fit l’amour et le chanta.


Ces deux vers d’un sonnet célèbre résument heureusement, dans une de ces formules concises et lapidaires, chères à l’auteur des Trophées, le condottiere qui eut l’étrange idée d’élever un temple à sa maîtresse, ou plutôt de transformer une église franciscaine en un temple païen. Plus rien n’y rappelle, en effet, le Poverello, ni la légende de la Portioncule, ni la chaste idylle de saint François avec « madame la Pauvreté. » On y chercherait vainement une inscription religieuse, une image chrétienne, un symbole sacré ; partout, au contraire, des statues antiques, des éphèbes, des divinités grecques, des guirlandes, des couronnes de fleurs et de fruits, les armes du Malatesta : l’éléphant et la rose, et surtout le chiffre d’Isotta s’enlaçant au sien. C’est vraiment un temple élevé à l’amour.

Pour sa construction, Sigismond s’adressa à L.-B. Alberti. Et celui-ci eut à résoudre le même problème qui devait se poser un siècle plus tard à Palladio pour la basilique de Vicence : utiliser un vieux bâtiment et le transformer en un monument nouveau. Moins heureux que Palladio, Alberti ne put voir achevé le plan qu’il avait conçu : une grande construction à coupole dont nous avons une idée par une lettre, où il parle d’un dôme dans le style de la coupole de Sainte-Marie-des-Fleurs, et par l’avers d’une médaille que Sigismond fit frapper en 1450, à l’occasion de son jubilé.

Alberti jeta donc une sorte d’enveloppe de marbre tout autour de l’église gothique et, respectant les chapelles intérieures, conserva les baies ogivales existantes : mais, à l’extérieur, il les enferma dans des arcades en plein cintre qui forment autant de niches dont les soubassemens reçurent les tombeaux des savans et des poètes pensionnaires de Malatesta. Pour la façade, n’étant gêné par aucune obligation, il donna libre cours à son imagination et fit un chef-d’œuvre. Elle a l’aspect