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servir à fixer, si possible, la chronologie des autres travaux, par la comparaison du style, dans les conceptions imaginatives et la réalisation technique.

Vasari nous dit que Giotto fut appelé à Assise par Fra Giovanni di Muro della Marca, nommé général de l’ordre en 1296. Rien de plus vraisemblable que celto tradition. Quelle que soit la beauté de ces fresques de Saint François, on n’y trouve point encore la puissance magistrale qui, sous les outrages des restaurations successives, nous montrent pourtant dans la Navicella une décoration monumentale de maturité plus complète, ni cette vigueur et cette sûreté dans la mise en scène pathétique et la présentation plastique, qui affirment les progrès incessans du penseur et du praticien dans l’art légendaire et historique, à Padoue et à Florence. C’est donc bien un travail antérieur, un travail de jeunesse, avec tous les charmes et toutes les inquiétudes, toutes les affirmations ambitieuses et toutes les inexpériences tâtonnantes d’une virilité prochaine qui s’exerce et prend possession d’elle-même avec une hardiesse méthodique et réfléchie.

Quel âge donc avait Giotto en 1296 ? Quels avaient été ses maîtres ? Quels sont ses travaux antérieurs ? D’après Vasari, il n’aurait eu que vingt ou vingt et un ans. C’était bien invraisemblable ; mais le biographe enthousiaste ne voyait, dans cette précocité, qu’une attestation miraculeuse de la mission providentielle confiée par la volonté divine à son compatriote. Depuis longtemps, cette erreur est dissipée par le témoignage d’un contemporain. Du même âge que Dante : Giotto est né en 1265 ou 1266. Avant d’être chargé d’un travail aussi important et aussi nouveau que la représentation des actes d’un Saint récent, avec des grandes figures, dans son pays même, sous les yeux de vieillards qui pouvaient l’avoir connu, il avait donc eu le temps de mériter cet honneur en faisant ses preuves. Mais, ces preuves, où les avait-il données ? A Florence, à Rome, à Assise ? Probablement un peu partout. A Florence, il avait eu, certainement, pour maître Cimabue, dont l’empreinte se marquera longtemps encore dans ses madones et ses crucifix. Toutefois, ce maître n’est point sédentaire, on le trouve à Rome, en 1272, un peu plus tard, à Assise. C’est un homme illustre, de noble race, très glorieux, très recherché, un grand chef d’atelier. Est-il téméraire de penser que, suivant l’usage, il se faisait d’ordinaire