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manque du pécule nécessaire pour acheter un fonds de commerce. Je voudrais voir une société se fonder pour leur ouvrir cette voie nouvelle. Il ne serait pas nécessaire de réunir des capitaux considérables. Une trentaine de mille francs feraient déjà beaucoup. On achèterait avec cette somme de petits magasins dans des villages. Je dis : dans des villages, parce que là, les prix d’achat étant moins élevés, les risques à courir sont moins grands, parce que là aussi la clientèle est fixe, assurée, et de plus, l’aveugle apprendrait facilement à la connaître à la voix. Ces magasins seraient attribués à des aveugles soigneusement choisis par une Commission de deux ou trois personnes qui auraient également la charge d’acheter les fonds de commerce et de visiter les ménages déjà installés. Ils seraient attribués autant que possible à des aveugles incapables d’apprendre un métier à cause de leur âge. Le point délicat serait de les choisir, de reconnaître ceux qui auraient auprès d’eux une personne digne de Confiance, ceux aussi qui, par leur passé, auraient fait preuve d’un esprit pratique capable de leur promettre le succès. Il y aurait certes quelques échecs, mais on ne devrait pas se- laisser décourager par eux. Dans l’ensemble, les pertes ne seraient pas, je crois, considérables. Les sommes engagées ne rapporteraient rien naturellement (on ne leur demanderait aucun intérêt), mais elles courraient assez peu de risques ; et beaucoup de misères seraient ainsi soulagées.

L’Association Valentin Haüy a trop d’œuvres qui absorbent toute son attention, trop d’aveugles à secourir pour entreprendre cette tâche nouvelle et fort assujettissante. Les esprits timides verraient là un emploi imprévoyant de ressources qui lui ont été confiées pour les aveugles et qui réclament une gestion extrêmement prudente. Mais certainement elle donnera l’exemple. Elle tentera l’expérience, et prouvera par des faits que la chose est parfaitement réalisable. Et je suis persuadé qu’autour d’elle un bienfaiteur surgira pour mener à bien une entreprise pleine de promesses.

L’Etat distribue ses bureaux de tabac à ses fonctionnaires et à leurs veuves. Ayons, à défaut de bureaux de tabac, nos épiceries, nos merceries, nos petits bazars de village. Et nous, qui ne serons pas sollicités par des électeurs, veillons bien à ce qu’ils aillent toujours aux plus indigens, et surtout à ceux qui sauront le mieux en tirer profit.