Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lieu de nous frapper aux yeux : — ce qui, combiné avec une bouche souriante, donne toujours à une figure l’expression de l’émerveillement.

Dès lors, la « chose extraordinaire » dont s’étonne Politien s’explique. Car le secret des sympathies populaires est bien simple : nous aimons ceux qui aiment la vie, la femme qui nous dit : Voyez comme la vie est belle ! et qui nous le prouve en étant belle elle-même ; qui, d’ailleurs, admire les autres femmes parce que son bonheur est de s’émerveiller ; qui découvre, sans cesse étonnée et ravie, les couleurs, les sons, les rythmes, les souffles, les parfums, les gestes et les âmes, comme si elle les voyait pour la première fois et, par-là, les renouvelle à nos yeux ; qui propage, parmi les blasés et les fatigués, la contagion de l’enthousiasme et les gagne à la cause sacrée de la vie : — le contraire de la « femme fatale » qui n’est jamais aimée que d’un ou de quelques-uns et pour leur perte, la femme providentielle qui est aimée de tous, et pour leur salut.

C’est autre chose que le vice ; c’est autre chose que la vertu, indépendant de l’une comme de l’autre ; cela répond à Un tout autre sentiment que l’admiration ou que le désir : au besoin de croire en la beauté de ce monde, malgré toutes les raisons qu’on a d’en douter. Les pessimistes sont souvent des héros, parfois des saints ; ils peuvent être des bienfaiteurs pratiques et matériels de l’humanité : les optimistes, seuls, sont populaires ; seuls, ils sont universellement aimés. Et de la popularité d’un être humain, lorsqu’elle nous est attestée par l’histoire, nous pouvons conclure hardiment à son optimisme.

Telle nous apparaît Simonetta, figure surprise et ravie de se trouver sur la terre, heureuse du bonheur des autres, organisatrice de leurs plaisirs, inspiratrice de fêtes, d’images et d’œuvres par l’émerveillement qu’elle y prenait, jouissant pleinement de la vie, de cette vie prompte qu’elle sentait peut-être lui échapper, entassant sensations, notions, souvenirs dans le cadre étroit de sa destinée, comme on entasse des choses précieuses dans un coffre, au moment du départ, — réceptive au plus haut degré, pressée de tout voir en ce monde avant de le quitter…

Il suffit de regarder les figures qu’on peignait d’après elle, à cette époque, pour le deviner : la mort est proche. De portraits authentiques, hors celui de Chantilly, nous n’en connaissons pas,