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sa nièce de ne pas perdre, par une minute d’oubli, le fruit de si longs efforts. « Ton mari, lui dit-il, est un homme d’une psychologie particulière. Il a regardé sa femme quand il l’a vue désirée par d’autres. Il l’aime parce qu’il croit qu’elle l’a trompé. Ne lui enlevons pas ses illusions !… » Cet oncle me paraît assez bien connaître son neveu et lui accorder toute l’estime qu’il mérite. Mais l’important est que Roger soit devenu amoureux de Fernande. Voilà encore un ménage qui nous donne les meilleures espérances.

La pièce de M. Pierre Wolf a obtenu un vif succès. Elle est agréable, chatoyante, bien mise en scène, rapide de dialogue, savamment dosée en rire et en larmes, d’une grande dextérité. Elle ne donne pas beaucoup à penser ; mais, au théâtre, cela vaut quelquefois mieux. Facilement écrite, elle sera écoutée facilement. Le sujet est la conquête d’un mari par sa femme, comme le Maître de Forges était la conquête d’une femme par son mari. Je n’y ferai qu’une objection, c’est le caractère décidément trop répugnant du mari. Les auteurs de maintenant continuent à mettre des comtes, des marquis et des ducs à la scène. Ils leur donnent libéralement tous les vices, mais ils leur retirent l’air et le langage de la bonne éducation. Cela ne fait pas compensation. Le marquis de Presles se mariait lui aussi pour payer ses dettes et revenait, lui aussi, à une ancienne maîtresse. Mais il était élégant, spirituel et gai : impertinent avec M. Poirier, mais toujours très poli avec Antoinette Poirier, il n’admettait pas que personne, à commencer par lui-même, traitât la marquise de Presles autrement qu’en marquise. Dépourvu de sa légèreté et de ses grâces, comme d’un brillant plumage, le marquis de Presles, devenu Roger de Montclars, est vraiment un trop vilain oiseau. L’objection a une certaine importance parce que la vilenie du mari éclabousse forcément la femme. Je sais bien que l’amour est l’amour et ne se discute pas. Mais pourtant ! Il y a des distinctions à faire. L’amour d’un homme qui tantôt vous injurie comme un portefaix et tantôt vous convoite comme une bête en rut, c’est l’amour, mais au sens du mot le plus bas. Que voulez-vous que je pense d’une jeune femme éprise de cet amour-là ? Pour contenter son désir, ce n’est pas la peine de lui dénicher un marquis : il y suffit d’un charretier.

Les Marionnettes sont très joliment jouées. M. Grand est moins à son avantage que dans Comme ils sont tous. Il alourdit, appesantit, assombrit le rôle de Roger de Montclars, qui n’avait pas besoin de ce surcroît de disgrâce. Mlle Piérat, un peu larmoyante au premier acte, un peu trépidante au second, est très agréable. Voilà deux créations