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d’historien. Vandal n’y arriva pourtant qu’après avoir un peu vagabondé parmi des sentiers de traverse. Les documens diplomatiques qu’il avait rencontrés au cours de son travail avaient fait surgir devant lui quelques intéressantes figures, qu’il voulut croquer au passage. De là, son marquis de Villeneuve, ambassadeur en Orient sous Louis XV, et surtout son « Pacha Bonneval, » cet aventurier de haut vol, moitié traître et moitié héros, dont il a si bien retracé l’étonnante odyssée. Ce fut Albert Sorel, au témoignage même de Vandal, qui lui indiqua le chemin où l’attendait la gloire. Quand Sorel, pour la première fois, l’orienta vers Napoléon : « Et Thiers ? » objecta timidement Vandal ; Sorel, pour toute réponse, sourit silencieusement ; puis, avec plus de force : « Ecoutez-moi, insista-t-il, faites du Napoléon. D’ailleurs, la vogue y est. » Il n’en fallut pas davantage.

Trois historiens, parmi les plus célèbres, se sont voués de nos jours à l’étude du grand homme. Sans s’être concertés, et comme par une tacite entente, ils se sont partagé les différens aspects de cette complexe et colossale figure : Houssaye a choisi l’homme de guerre, Vandal a choisi l’homme d’État, Masson a choisi l’homme tout court, chacun avec le succès que l’on sait. Parmi la diversité des points de vue et la variété des talens, un trait leur est commun, c’est l’ascendant exercé sur leurs âmes par le héros de leurs ouvrages : tous trois ont subi son emprise, au point de ne pouvoir plus désormais s’occuper d’autre chose. C’est à croire qu’une loi mystérieuse régisse tout historien qui, sur sa route, a rencontré le grand dominateur. Qui ne connaît l’anecdote de ce grenadier, criant au fort de la bataille : « Mon capitaine, je tiens un prisonnier. — Eh bien ! amène-le. — Mon capitaine, c’est qu’il ne veut pas me lâcher ! » De même, quand on prend pour sujet l’Empereur, il vous prend à son tour ; on ne s’en détache plus jamais.

Dans l’immense épopée, l’épisode que choisit Vandal, c’est le duel de pensées, le dialogue émouvant qui, cinq années durant, se poursuit sans relâche entre les deux empereurs d’Occident et d’Orient, dialogue d’abord presque idyllique, puis, peu à peu, plein de sous-entendus, de réticences, de dissimulations, finalement hostile, menaçant, semé de mots qui luisent comme des éclairs d’épée. Ce qui en fait l’intérêt passionnant, c’est le contraste violent entre les deux héros du drame, « l’un