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Tilsitt, de désarmer son impitoyable vainqueur par la puissance de ses attraits, la séduction de son esprit, et si galamment accueillie qu’elle espère avoir ville gagnée, tandis qu’une heure plus tard, rentré dans son appartement, Napoléon écrit à Joséphine : « La reine de Prusse est réellement charmante, elle est pleine de coquetterie pour moi ; mais n’en sois point jalouse ; je suis une toile cirée sur laquelle cela ne fait que glisser. Il m’en coûterait trop cher de faire le galant[1]. »


Merveilleux peintre de portraits, Vandal n’excelle pas moins dans les morceaux d’ensemble. Il sait décrire les paysages et brosser les décors, évoquer la vision des cadres où se joueront les scènes de la gigantesque féerie. Sous sa plume enchantée, il semble que les masses s’animent, que les foules se mettent en mouvement et défilent devant nous, foules populaires, foules militaires, foules de courtisans chamarrés, foules de princes et de rois domptés et asservis. Nous les voyons s’agiter sous nos yeux ; nous pénétrons aussi jusqu’au plus intime de leur être ; derrière le masque des visages, nous lisons les secrètes pensées, nous sentons au fond des poitrines le frémissement sourd des passions. Et les plus fortes impressions sont obtenues sans un mot inutile, sans ombre de déclamation, par le seul procédé d’une gradation exacte qui met chaque objet à son plan, d’un discernement judicieux qui subordonne le détail à l’ensemble, qui distribue avec un art savant les effets d’ombre et les coups de lumière.

Faut-il rappeler le célèbre tableau des journées de Tilsitt, le vainqueur s’employant à conquérir l’âme du vaincu, le séduisant par ses caresses, le fascinant par son génie, l’intimité naissante des deux empereurs, leurs promenades, au bras l’un de l’autre, par les rues de la ville, parmi les passans ébahis, et leurs chevauchées, botte à botte, à toute allure, à travers la campagne, tandis que le roi de Prusse, « le triste Frédéric-Guillaume, » souffle à suivre le train, heurte maladroitement, à chaque foulée, les fougueux cavaliers ? Ou, quelques mois plus tard, la parade étincelante d’Erfurt : dans le fond du théâtre, le vague troupeau des principicules germaniques, rivalisant de prétentions, se disputant les préséances, et soudain obséquieux,

  1. Napoléon et Alexandre Ier, tome I.