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cour. Les madrigaux ont souvent de la grâce, et celui-ci se trouve cité partout :

A Madame la princesse Ulrique de Prusse.


Souvent un peu de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge.
Cette nuit, dans l’erreur d’un songe,
Au rang des rois j’étais monté ;
Je vous aimais, princesse, et j’osais vous le dire.
Les dieux à mon réveil ne m’ont pas tout ôté :
Je n’ai perdu que mon Empire.


Quelques Epîtres, non moins souvent citées, ne sont pas pour cela moins jolies, celle des Vous et des Tu, par exemple, d’une hardiesse ou d’une insolence de la meilleure compagnie. Pour comprendre d’ailleurs le succès de ces petites pièces, il faut se rappeler qu’en ce temps-là, les Bachaumont ou les Saint-Aulaire, avec un quatrain, se faisaient une réputation d’homme d’esprit ou un titre d’académicien ; et pour leur rendre la justice qu’elles méritent, il faut se souvenir combien de Bernis ou de Bertin, s’y étant morfondus, ne les ont pourtant pas trouvées. Dans la mesure où les vers ne sont que de la prose, Voltaire a été et demeure inimitable.

On se demande comment et pourquoi l’idée lui vint aussi de faire des Odes, si ce fut pour imiter l’abbé de Chaulieu peut-être, ou plutôt pour rivaliser avec Jean-Baptiste Rousseau, qui passait alors pour une façon de grand homme. Il n’en eut pas au moins de plus étrange, ni qui lui ait moins réussi. Il s’adresse à Marie-Thérèse :


Fille de ces héros que l’Empire eut pour maîtres,
Digne du trône auguste où l’on vit tes ancêtres
Toujours près de leur chute et jamais affermis,
Princesse magnanime,
Qui jouis de l’estime
De tous tes ennemis !


Les Français du XVIIIe siècle n’ont point connu la poésie lyrique : ils vivaient trop peu sur eux-mêmes, en eux-mêmes, de leur propre substance, et faits et formés pour le monde, il leur eût paru ridicule ou impertinent que l’on fût en même temps la matière et l’ouvrier de son œuvre. Aussi ce qui manque le plus aux poésies prétendues lyriques de Voltaire, c’est ce qui manque à celles de Rousseau, comme à celles de Malherbe,