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après lui. Dans ce violent effort, qu’il dirige avec un irrésistible élan, les bataillons hollandais de Guillaume d’Orange, sans avoir été rompus par le feu, sont culbutés à coups d’épée ou de baïonnette. Luxembourg, en rentrant au camp, dit à ses officiers : « Messieurs, l’honneur de cette journée appartient tout entier à Mgr le prince de Conti. Je vais l’écrire au Roi ! » Mêmes prouesses à Nerwinde (1693).

A midi, la victoire est encore incertaine : il faut à tout prix se réemparer du village qui a été pris et repris. Conti propose à Luxembourg de ne plus batailler à coups de mousquet, mais d’aborder l’adversaire l’épée à la main. « Prince, lui répond le maréchal, vous faites si bien qu’il n’y a qu’à vous laisser faire. Je compte sur vous ! » Et Conti, à la tête de ses gardes et de la Maison du Roi, pousse l’attaque à fond. Les munitions épuisées, comme à Steinkerque, on combat à l’arme blanche, C’est l’élève de Condé qui inaugure cette nouvelle tactique. Le lendemain de la victoire, Saint-Simon alla au quartier général. « Je causai fort, dit-il, avec M. le prince de Conti, qui me montra sa contusion au côté et qui ne me parut pas insensible à la gloire acquise. » De l’avis unanime, Conti et son beau-frère, M. le Duc, les deux rivaux, avaient fait des merveilles pendant cette campagne. Après Rocroi, le grand Condé fut comparé au dieu Mars. Après Nerwinde, Conti, ce fut Germanicus pour les courtisans ; dans les salons, on faisait courir cette épigramme :


D’une manière triomphale
Comme César vint de Pharsale,
Luxembourg doit venir ici ;
Mais on nous écrit de l’armée,
Que sans Vendôme et sans Conti,
Il revenait comme Pompée[1].


Luxembourg prétendait avec bonhomie que le prince de Conti lui apprenait son métier. C’était du moins un digne collaborateur et tous deux de la même école : celle de M. le Prince le héros. Le public enthousiaste répétait naïvement que l’âme de Condé avait dû combattre pour les princes de sa maison. Nerwinde fit en France, au dire de Voltaire, un effet extraordinaire. C’était du délire.

  1. Bibliothèque nationale, manuscrit français 12 696, p. 499. Cf. Chansonnier de Clairambault. La lettre écrite par J. de La Fontaine à son ami Sillery (28 août 1692), Recueil de Brunet, I. 308, Recueil Jæglé, 1, 157.