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du banquier Samuel Bernard[1]un million de livres en or et dix millions en argent. « Jamais, dit Saint-Simon, le crédit n’a été si grand. » Songez ! la couronne de Pologne ! Ce qu’elle valait pour la France ! Mais elle coûtait cher aussi, et toutes ces belles sommes, c’était comme une goutte d’eau dans la mer, à entendre les appels désespérés de l’abbé de Polignac.

A la fin d’août seulement, après bien des hésitations et des silences calculés, le prince de Conti, sur de nouvelles instances[2], se décida, un peu tardivement pour sa cause, à écrire une longue lettre[3], très noble d’ailleurs, au primat du royaume de Pologne, son plus chaud sectateur, le cardinal Radziejowski, au sujet de son élection du 25 juin, « jour, dit-il, où Votre Eminence, à la tête de la plus grande partie de la République, m’avait proclamé roi dans les formes et suivant les règles requises par les lois[4]. » Son premier mouvement l’eût porté à se mettre tout de suite en route pour Varsovie, afin d’y dissiper par sa présence les semences de division répandues dans le pays, à l’occasion de l’élection irrégulière du prince de Saxe. La réflexion l’a amené, ajoutait-il, à ce parti contraire : suivre inviolablement les lois du royaume, en vertu desquelles seules peut subsister l’élection légitime des rois ; attendre, pour se déplacer et pour prendre le titre de roi de Pologne, une lettre de la République lui attribuant ce titre et l’appelant « dans un royaume dont elle l’a cru digne d’être le chef. » « Dès que j’aurai ces nouvelles, conclut le prince, je me rendrai en diligence sur les lieux où mon devoir m’appelle. Je montrerai alors les résolutions où je suis d’employer le reste de ma vie et de prodiguer tout mon sang pour l’augmentation de la gloire de mes nouveaux sujets et le maintien de leur liberté… Croyez à mon impatience d’arriver avec tous les moyens nécessaires pour satisfaire aux paroles que l’on a données en mon nom et qui seront inviolables. »

La lettre attendue n’arriva que le 9 août. Jusque-là Torcy lui-même[5]avait considéré comme impoli tique, pour le Roi de

  1. Samuel Bernard (1651-1739) anobli en 1699.
  2. Polignac à Conti, 6 août, A, E. 96, Pologne, f° 90. Polignac à Torcy, Varsovie, 8 août.
  3. A. N. Carton K. 604, dossier III, n° 1-16. Dossier des minutes autographes du prince de Conti et des réponses de Torcy.
  4. Conti au primat de Pologne (fin d’août 1697).
  5. Torcy à Polignac (15 juillet 1697).