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impatient d’essayer le luth qu’il sentait vibrer sous ses doigts ; il lui tardait de courir le monde, de voir de nouveaux pays, et de contempler, sous d’autres cieux, les aspects infinis et variés de la nature, qui seule avait le don de lui plaire, parce que seule elle parlait à son cœur en même temps qu’à son imagination. L’Italie surtout le tentait. Aussi, en 1839, après cinq années de séjour en France, prenait-il, pour rentrer dans son pays, la route de la terre, idéale entre toutes, qu’il entrevoyait depuis si longtemps dans ses rêves. Il visita successivement Florence, Rome, Bologne, Gènes, Venise et Trieste ; nulle part il n’éprouva une impression plus vive qu’à Venise,


La pauvre vieille du Lido,
Nageant dans une goutte d’eau
Pleine de larmes[1] !


Il lui semblait y avoir retrouvé comme une seconde patrie ; il devait y retourner en 1846, et y goûter des heures d’ivresse, dont le souvenir lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux vers.


II

En 1840, Alecsandri, à peine âgé de dix-neuf ans, revient en Moldavie, et, comme premier essai littéraire, donne à une revue publiée par son camarade d’enfance, Cogalniceano, une nouvelle en prose : La Bouquetière de Florence, où il retrace, d’une plume dont il est déjà maître, un touchant épisode de son voyage en Italie.

Pour bien se rendre compte du rôle important joué dès lors par Alecsandri dans la littérature et dans la succession des événemens politiques de sa patrie, il est nécessaire de connaître l’état dans lequel se trouvaient, au moment de ses débuts, le pays qui l’avait vu naître, la langue dans laquelle il a écrit ses premiers vers, la société au milieu de laquelle s’est développé son génie poétique. Les difficultés qu’il eut à vaincre pour imposer au public son talent si personnel, pour ouvrir la voie à des idées nouvelles, à une nouvelle forme d’art, et, d’autre part, les luttes qu’il dut soutenir pour réaliser ses aspirations de patriote,

  1. A. de Musset, A mon frère revenant d’Italie.