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contestables et ils n’avaient été jugés admirables que par l’audace de leur offensive. Le nom de nos généraux n’était-il pas dans le monde entier synonyme d’audace irrésistible ? Qu’ils pussent se montrer hésitans, timides, empêtrés dans la défensive et pécher autrement que par l’excès dans l’audace, aucun Français, aucun homme d’État ou de guerre en Europe n’eût osé le craindre ou l’espérer. Nous les avons déjà tous vus à l’œuvre et jugés. Quelques-uns cependant méritent d’être regardés de près.

La famille de Bourbaki, originaire des îles Ioniennes, fut naturalisée par le Premier Consul en récompense de services rendus. La physionomie du général était ouverte, son œil brillant, son parler coloré, son allure fière ; tout en lui respirait la franchise, la générosité, attirait la sympathie, et quelque chose du charme oriental adoucissait ce qu’il y avait de mâle dans sa personne. Il servit en Afrique sous Lamoricière, Cavaignac, le Duc d’Aumale. Il organisa les corps indigènes de turcos et ces fils du désert se prirent d’enthousiasme pour sa bravoure irrésistible, en quelque sorte fastueuse, bien propre à frapper leurs imaginations. Ils mirent son nom sur une de ces chansons guerrières improvisées au bivouac, qui consolent les longues marches, remplacent souvent, en campagne, la soupe et le café absens :


Ce chic exquis
Par les turcos acquis,
Ils le doivent à qui ?
A Bourbaki,
Honneur à Bourbaki (bis) !


Général de brigade en Crimée, il déploya l’indomptable courage qui avait fanatisé les Arabes. A Inkermann, il s’aperçoit le premier que les Anglais attaqués brusquement vont succomber ; il s’élance, il rallie à la hâte quelques bataillons de chasseurs et de zouaves, passe en une minute chez ces vétérans son âme de feu ; aussitôt les Russes sont culbutés, effarés, perdus ; ils se reforment en carré pour résister à cette charge d’infanterie, plus terrible que la charge des cuirassiers de Ney à Waterloo… Bourbaki se précipite sur eux ; on veut l’arrêter ; il saisit une carabine, s’en sert comme d’une massue, et, les yeux pleins d’éclairs : « Place, s’écrie-t-il, il y a ici de la gloire pour tous ! » La bataille d’Inkermann était gagnée. Bourbaki l’Africain s’appela