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était distingué, instruit, réfléchi, souple, inégal ; il savait, lorsque cela lui convenait, captiver par l’agrément de ses manières, mais il ne le voulait pas toujours dans ses rapports avec ses égaux, et presque jamais avec ses inférieurs. Il était à la fois exigeant dans le commandement et peu disposé à l’obéissance ; facile pour ceux d’en haut, hérissé pour ceux d’à côté ou d’en bas. « Il n’est pas commode à mener, disait Niel, et quelquefois bien dur pour ceux qui servent sous ses ordres. » (18 août 1855.) Il s’attira la défaveur d’une grande partie de l’armée par la roideur de ses manières et les difficultés de son humeur nerveuse. On l’appelait le maître d’école. Le double aspect de sa nature se retrouvait dans sa figure intelligente aux traits secs, revêches, à la fois chafouine et insinuante.

Dans son commandement à Châlons, il s’était montré si peu exercé au maniement des troupes que, lorsque la guerre vint nous surprendre, on songea à le placer à la tête du génie. Il y eût rendu d’éminens services. Si on avait ménagé sa dignité, il aurait probablement consenti à un déplacement qu’en lui-même peut-être il désirait. Mais l’Empereur le lui demanda brusquement par une dépêche qu’aucune explication n’avait préparée. « S’il y a la guerre, je voudrais que vous eussiez le commandement en chef du génie. Cependant si vous tenez à conserver votre corps, répondez-moi. » (14 juillet, 1 h. 27 soir.) Le général pensa qu’il se déconsidérerait en quittant son commandement à l’ouverture des hostilités. Il répondit « que l’Empereur pouvait disposer de lui comme il l’entendrait, qu’il lui était tout dévoué, et prêt à faire ce qu’il jugerait utile à son service, quelles que pussent être ses préférences. » L’Empereur, craignant de le blesser, le laissa malheureusement à la tête du 2e corps, celui qui devait être lancé le premier vers la frontière.

Parmi les divisionnaires placés sous ces chefs, quelques-uns n’avaient d’autre mérite que d’être prêts à sacrifier leur vie à tout instant. Dans les rangs inférieurs, ils avaient appris la tactique réglementaire ; la sachant fort bien, ils considéraient le grade supérieur comme une retraite et ne songeaient guère à se pousser à de plus hautes études. Colonels de premier ordre, généraux de brigade excellens, ils n’étaient plus que des généraux de division médiocres. Cela tenait à ce que, quoique l’ancienneté ne fût pas la condition de l’avancement dans le grade supérieur, en fait on s’attachait trop à cet ordre du tableau qui,