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Voici comment le Religieux de Saint-Denis décrit Charles VI, à l’âge de l’adolescence : « Sa taille, sans être trop grande, surpassait la moyenne : il avait des membres robustes, une large poitrine, un teint clair, les yeux vifs, son nez n’était ni trop long ni trop court… Il était fort adroit à tirer de l’arc et à lancer le javelot. Il montrait, de l’aveu de tous, une rare habileté dans les exercices militaires. »

Par son esprit et son caractère, Charles VI, le Bien-Aimé, exerça tout d’abord sur son peuple la même séduction que par ses qualités physiques. « Mais, dit Michelet, cette époque frivole et turbulente ne pouvait guère être charmée que par des défauts. » Généreux à l’excès, crédule sans discernement, coléreux, entêté, romanesque, le Roi conserva toujours dans sa mentalité quelque chose d’enfantin. Espiègle et futile, il aimait à revêtir, à la grande indignation du Religieux de Saint-Denis, les déguisemens les plus variés et parfois les moins conformes à la dignité royale. Mais Charles VI se montrait surtout incapable de contenir ses passions et de se gouverner lui-même. Il s’adonnait, sans contrainte, aux pires excès : « Ses appétits charnels, dit le Religieux, ne lui permettaient pas de douter qu’il n’eût hérité de la malédiction qui avait frappé le premier homme et sa race perverse. » Michelet parle du « lourd tribut » qu’il leva sur les filles du royaume. Sa prodigalité n’avait pas de bornes. « Où son père eût donné cent écus, il en donnait mille. » On disait qu’il ne gardait rien pour lui « que le pouvoir de donner. » Fantasque et agité, curieux de voyages et impatient de batailles, il transforma l’histoire en une sorte de parade magnifique et vaine : costumes brillans, grandes chevauchées, campagne de Flandre et promenade dans le Midi, entrées triomphales dans les villes prises, somptueuses réceptions dans les villes amies et partout « haute liesse et forte ripaille, » telle est la vie de luxe insensé et de débauche souvent crapuleuse que Charles VI mena pendant les six premières années de son règne, et dont Froissart, « ce grand peintre flamand, » comme on l’a dit, nous a laissé, presque au jour le jour, la relation naïve et imagée. Charles V était encore un émotif, capricieux, instable, sujet dans le plaisir comme dans la tristesse et dans l’amour comme dans la haine, à des reviremens d’humeur en apparence inexplicables. « Il témoignait, dit le Religieux, une impatiente ardeur toutes les fois que les ennemis le provoquaient par leurs