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de refuser l’échange proposé. » M. Jules Simon, dans son étude sur le gouvernement de M. Thiers, corrobore ainsi cette déclaration : « M. Thiers fit attendre deux jours sa réponse. Il voulait consulter les ministres et ensuite la Commission des Quinze. Le Conseil à l’unanimité, la Commission à l’unanimité, opinèrent pour le refus. » Et voici comment M. Jules Simon s’en est expliqué : « L’archevêque avait sans doute raison de dire que des représailles, des exécutions par l’émeute, ajoutent à la terreur des uns, à la colère des autres. Que n’eût-on pas fait pour donner à la lutte un caractère moins sanguinaire ? Personne ne croyait à Versailles que les jours des otages fussent menacés ; non, personne ! On savait, par une cruelle et récente expérience, ce que peuvent, dans un moment d’égarement, les foules ameutées. Mais les otages étaient en prison. Ils ne pouvaient périr qu’en vertu d’un ordre du gouvernement insurrectionnel et, quelque criminel que fût ce gouvernement, il n’irait pas jusqu’à ordonner ce massacre de propos délibéré. »

Cette réflexion part d’une âme généreuse sans doute, mais ne pouvait-on pas craindre une action violente et toute-puissante de la presse révolutionnaire et de la rue sur le gouvernement de la Commune ? Ne pouvait-on pas craindre des massacres dans les prisons, comme jadis ceux de Septembre ? Et cependant, on croyait que la Commune n’irait pas jusque-là.

« En supposant, ajoute M. Jules Simon, que le gouvernement insurrectionnel fût assez pervers pour commettre un tel crime et assez insensé pour se priver lui-même de son unique chance de salut, on ne proposait en échange de Blanqui que cinq otages. Il en resterait encore près de deux mille entre les mains de l’émeute. Les suites d’une exécution ou, pour mieux dire, d’un massacre que redoutait si justement l’archevêque, ne seraient donc pas évitées. Le gouvernement n’avait pas le droit de faire cet échange ; il ne le pouvait faire qu’en violation de la loi et du droit, parce que Blanqui condamné, mais condamné par contumace, devait nécessairement être jugé et ne pouvait, dans l’état, être l’objet d’une grâce. Enfin, la raison politique ne permettait point de donner à l’insurrection un chef qu’elle regardait elle-même comme un accroissement de force considérable. » Cela est si vrai que B. Flotte, qui fut l’intermédiaire entre la Commune et l’archevêque de Paris pour l’échange, dit avoir reçu le 27 mars à Cuers la lettre suivante de Tridon : « La Commune est proclamée