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siècle d’études, M. Fabre affirme n’avoir observé qu’un recoin très modeste du domaine instinctif. Cependant la moisson l’accable par sa variété. Mais cette multitude d’instincts ne peut nous renseigner sur de graduels passages. La scolie donne un coup de dard, le pompile deux, le sphex trois, l’ammophile un plus grand nombre. Y a-t-il acheminement de l’un à l’autre ? Non, car l’anatomie change, et chaque méthode est également merveilleuse.

Alors une conclusion brutale, décisive : les espèces ne se transforment pas les unes dans les autres. Les êtres vivans sont tous « à l’effigie d’un prototype immuable. » S’il y a quelquefois des innovations, elles n’affectent que le détail. Appartenant au domaine du discernement, elles sont par suite strictement contenues dans les limites du cadre de l’instinct ; mais il serait vain d’attendre des innovations qui changeraient à fond l’industrie de l’insecte. « La puissance créatrice ne revêt pas la défroque du mort. Son officine est un atelier de médailles où chaque effigie reçoit l’empreinte d’un coin spécial. Elle ne raccommode pas le vieux pour en faire du neuf. » L’animalité entière, y compris l’homme, ne provient pas d’une source unique. Si cela était, comment le sens merveilleux du retour au nid, par exemple, fréquent chez les animaux, pourrait-il être resté le partage de quelques humbles seulement ?

Et, épris du fait comme il l’est, convaincu que toute certitude ne peut être fondée que sur lui, M. Fabre prononce la condamnation du transformisme. « Le transformisme, dit-il, affirme dans le passé ; il affirme dans l’avenir ; mais le moins possible, il nous parle du présent. Des trois termes de la durée un seul lui échappe, celui-là seul qui est affranchi des fantaisies de l’hypothèse. » Et c’est bien là son point faible. L’instinct par-dessus tout le fait crouler et le grand maître du transformisme lui-même balbutie quand il essaie de le faire entrer dans le moule de ses formules. Les idées transformistes, en résumé, forment un cycle restreint et monotone. Vagues et imprécises, on peut les orienter, au gré de sa fantaisie et, loin de guider la connaissance, elles ne résultent que d’une théorie arbitraire. Que dire alors de ceux des sens de l’insecte qui nous échappent complètement !

M. Fabre s’acharne encore. Il a voulu démontrer par l’absurde d’impossibilité du transformisme darwinien. Mais derrière ces