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QU’IL LEUR RESSEMBLAT. » — « Racine s’est baigné dans le sang ; ses tragédies sont féroces. Or, dit la sagesse des Brahmanes, tout être est semblable à ce en quoi il se plaît. » — « Les principaux personnages de Racine, n’en doutons pas, C’EST LUI-MEME, (« c’est lui-même » souligné par l’auteur).

Ce principe étant admis, et il n’est pas un d’entre vous qui ne l’admette immédiatement, il était inutile d’écrire le livre ; et il est acquis que Racine peignant des « apaches » est un « apache, » et que, du reste, tous les poètes tragiques sont des apaches. Cependant, pour voir quelles applications particulières M. Forestier fait de son incontestable principe général, suivons-le dans ses analyses de pièces de Racine et de quelques personnages raciniens.

D’abord, quand Racine invente un fait, voyez comment il l’invente. Iphigénie : la tragédie grecque lui offre une biche pour victime. » Or, « voyez-vous ce bonheur de faire égorger Ériphyle… Racine semble faire massacrer une amoureuse passionnée et frémissante pour le plaisir cruel de voir couler son sang. »

Évidemment ! « Semble » est même de trop.

Et puis voyez ses personnages, ses personnages qui sont lui. « Bajazet devra plaire infiniment davantage quand nous serons fixés sur l’individualité de son créateur. Pour qui voit en Racine un beau tigre, cette pièce est divine. Si j’osais, je dirais que l’âme de Racine est sur les lèvres mêmes du blême Bajazet… » Je ne comprends pas très bien, parce que dans Bajazet ce n’est pas Bajazet qui est le tigre, mais enfin globalement, Bajazet étant une tigrerie est particulièrement représentative du tigre Racine. Voilà qui va bien.

Voyez Andromaque. Dans cette pièce le principal personnage, Andromaque elle-même, est marquée « d’un artifice infini et d’une forte insensibilité. » Si ce portrait vous étonnait un peu, suivez l’analyse ingénieuse que fait M. Forestier. Andromaque, c’est « une biche, » dont on veut tuer le petit et qui résiste, et qui a recours à des ruses pour le sauver. Et c’est en quoi elle est insensible.

— Et rien de plus que la biche aimant son faon ?

— Ah ! oui ! Andromaque amoureuse de l’ombre d’Hector, la veuve amoureuse ! Mais c’est nous qui avons mis cela dans la pièce où cela n’y est point du tout, absolument pas. « Alors, vous croyez que cette passion est dans la pièce ? S’il me fallait