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aisément les métayers à leur propagande. Néanmoins, les hostilités éclatèrent une première fois en 1890, pour une question de tarifs. Les mezzadri de la province de Ravenne ayant refusé d’admettre les prétentions des braccianti engagés comme ouvriers auxiliaires pour le temps des moissons, non seulement ceux-ci se mirent en grève, mais ils s’opposèrent violemment à ce que les mezzadri accomplissent eux-mêmes le travail en s’aidant les uns les autres. C’était le prélude d’un conflit qui, après bien des alternatives d’hostilités et d’apaisement, devait, au printemps de 1910, prendre la forme d’une lutte acharnée, parfois sanglante, et mettre pendant plusieurs mois toute une province en révolution.


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Il était naturel et inévitable que les prétentions des braccianti organisés grandissent avec leur fortune. En peu d’années, les coopératives ouvrières de Romagne avaient accaparé, outre les travaux publics de tout ordre et de toute nature, l’exploitation des domaines communaux et des terres appartenant aux établissemens de bienfaisance (opere pie). Tantôt ils avaient dû la préférence à la faveur manifeste des pouvoirs publics et des administrations locales ; tantôt ils l’avaient conquise, pour ainsi dire, de vive force, en éloignant les concurrens par la menace du boycottage. Qu’il s’agît d’une entreprise de travaux publics ou d’une exploitation agricole, les entrepreneurs étaient obligés de se retirer devant les coopératives, qui posaient la question en ces termes : « Ou les travaux nous seront adjugés, ou l’adjudicataire qui les obtiendra ne trouvera pas un ouvrier.  » Lorsqu’ils se furent ainsi rendus maîtres du marché, et qu’ils eurent monopolisé à leur profit les entreprises publiques, les braccianti songèrent à mettre la main sur l’exploitation agricole privée. Se substituer aux propriétaires, en les contraignant à passer avec les coopératives des contrats de location collective, tel était le but qu’ils voulaient atteindre ; mais ils procédèrent avec méthode et ne découvrirent leur dessein que progressivement. L’unique objet de leurs revendications fut d’abord une nouvelle répartition du travail dans l’agriculture. Le sol de la Romagne, disaient les chefs des syndicats, était assez riche pour faire vivre tous ses habitans : il suffisait de distribuer le travail pour distribuer la richesse. Or l’agriculture, en se transformant,