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le bénéfice d’une propagande de plusieurs années. Les mezzadri commençaient à faire cause commune avec les ouvriers agricoles ; déjà ils avaient accepté leur appui pour lutter contre les propriétaires : en rompant violemment avec eux, les ouvriers avaient rendu aux propriétaires un service signalé. En réalité, si les métayers de Romagne avaient répondu aux avances des organisations ouvrières et s’étaient même soumis quelque temps à leur direction, il y avait eu, de leur part, bien moins d’entraînement que de calcul. Tant que cette alliance leur avait procuré des avantages, ils y étaient restés fidèles : le jour où elle s’était révélée contraire à leurs intérêts, ils n’avaient pas hésité longtemps à la rompre. Il avait suffi qu’une question déterminée fît apparaître nettement l’antagonisme entre les deux classes, pour que celle des métayers retournât à ses traditions et redevînt l’alliée des propriétaires contre la classe des braccianti.

Aussi les socialistes intransigeans sont-ils plus que jamais décidés à poursuivre, d’accord avec les mezzadri ou contre eux, la réforme progressive et finalement l’abolition de la mezzadria. Les troubles de Romagne n’ont fait que les confirmer dans le sentiment que cette forme d’exploitation reste encore aujourd’hui le plus grand obstacle à l’établissement du socialisme agraire en Italie.

Il m’a paru intéressant de recueillir sur place, au moment même de la crise, les opinions des différens intéressés sur la question du métayage, de ses inconvéniens, de ses avantages et de son avenir. Partisans et adversaires de la mezzadria sont également convaincus, je dirais presque également passionnés : les uns et les autres sont tout près de croire qu’au progrès ou au déclin de cette institution traditionnelle sont liés les plus graves intérêts agricoles, économiques et même sociaux de l’Italie contemporaine. L’ardeur de ces convictions suffirait à prouver l’importance du problème ; elle permet aussi de prévoir que la solution n’en est pas encore prochaine et qu’elle n’ira point sans difficulté.

L’opinion la plus catégorique est assurément celle des ouvriers organisés. Le secrétaire de la Fédération des braccianti, chef énergique et incontesté d’une armée de 25 000 travailleurs,