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j’entrai près d’Eberhard prisonnier, instinctivement mes genoux plièrent, je ne pouvais faire autrement. »

Chaque jour à Cologne, sur cette place discrète, ombragée, qui fait avenue vers l’antique abside de l’église Saint-Géréon, l’archevêque Melchers, à son tour, écoutait et regardait, à l’affût de sa destinée. D’avance ses chanoines et de nombreuses députations de fidèles le fêtaient pour ses imminentes souffrances. On apprenait à la fin de mars que, dans la maison d’arrêt de Cologne, deux chambres se préparaient pour le prélat : lui-même officiellement n’était prévenu de rien. Le 30 mars, Auguste Reichensperger vint le voir, leur causerie fut un adieu. À sept heures du matin, le 31, la police venait chercher Melchers, lui refusait un délai de vingt-quatre heures, le forçait de monter en voiture. La foule, sentant qu’on le dérobait à ses acclamations, s’en fut devant la prison, et pendant que se fermaient sur l’archevêque les portes de sa nouvelle demeure, ces masses de fidèles, groupées en bas dans la rue, entonnaient avec calme un chant d’hommage à leur Credo : « Nous vivons dans le vrai christianisme. » Trente-sept ans plus tôt, un autre archevêque de Cologne, Droste-Vischering, avait été arraché de son palais par la police de Frédéric-Guillaume IV. Le douloureux Melchers, âme ascétique et naturellement mortifiée, pouvait s’aider de ce souvenir même pour comprendre ses propres souffrances : et les vers d’Alfred de Reumont, l’historien diplomate, signifiaient à la Prusse que « les menaces et la haine manquent leur but, et qu’à la semaine de la Passion, la fête de Pâques succède. » Melchers fut inscrit comme tresseur de paille, comme couseur de sacs, sur le catalogue d’infamie où s’alignaient désormais indistinctement les noms des criminels de droit commun et les noms des ministres de l’Église. On trouvait naturelle cette promiscuité ; mais lorsqu’en avril son collègue Ketteler se présenta pour lui faire visite, il fut éconduit. Au fond de leurs cellules, Eberhard et Melchers recevaient des lettres de Pie IX, qui les remerciaient, et une adresse collective de l’épiscopat anglais, qui les admirait.

L’Église de Paderborn, elle aussi, redoutait d’être bientôt veuve, et dans cette petite ville affluaient d’immenses cortèges, — l’un compta jusqu’à 16 000 fidèles, — apportant chaque jour à l’évêque un hommage qui expirait en adieu. La presse bismarckienne s’inquiétait de ces « députations monstres, »