Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour la seconde fois les îles Kerguelen étaient proclamées possessions françaises.

Si l’on s’en tient au récit du chef de l’expédition, une véritable fatalité l’empêcha d’atteindre le mouillage. Et, de fait, la situation était singulièrement critique : une chaloupe perdue, la Dauphine désemparée et sans vivres, le Rolland très endommagé et prenant l’eau, les équiPagès épuisés. Pour comble d’infortune, le 18 janvier, après une violente tempête, les navires se trouvaient rejetés à cinquante lieues des côtes. « Il y avait trois mois, écrit Kerguelen, que nous étions partis de l’île de France, deux mois que nous étions dans les brumes, dans le froid et les tempêtes ; il fallait encore un mois pour gagner le plus prochain port de ressource, ce qui assurait quatre mois consécutifs de navigation et de fatigue ; je pris le parti d’immoler mon intérêt particulier et mon avantage personnel au bien de l’humanité et du service. Mes officiers, qui connaissaient comme moi l’état de mon vaisseau et celui de mon équipage, constatèrent les raisons qui obligeaient de quitter ces parages et de se rendre au port le plus voisin ; à midi, les vents au Sud-Ouest, je fis déferler le grand hunier et je donnai la route au Nord-Est-quart-Nord, pour melever au Nord, gagner les belles mers et les vents alises, et me rendre à la baie d’Antongile, en l’île de Madagascar[1]. »

Le choix de cette relâche se justifia par la nécessité où Kerguelen se trouva de faire descendre à terre un grand nombre de matelots atteints du scorbut, de leur fournir des vivres frais, d’éviter les ouragans qui sévissaient encore dans les eaux de l’île de France, et enfin de faciliter au commandant de Benyowski son essai de colonisation chez les Malgaches[2].

Nous ne suivrons pas le navigateur sur la route du retour et nous ne discuterons pas les griefs qui le firent passer en jugement, casser de son grade, puis enfermer au château de Saumur. Sa carrière, brusquement interrompue, ne fut pas arrêtée d’une façon définitive. Il arma un corsaire pendant la guerre de l’Indépendance et se distingua par plusieurs prises importantes, embrassa ensuite la cause de la Révolution,

  1. Relations de deux voyages dans les mers australes, p. 81, 82.
  2. Plus exactement chez les Betsimisaraka, répandus sur la côte orientale de Madagascar, de 14° à 21° Lat. Sud.