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Certains pensèrent à utiliser ces terres lointaines comme établissement pénitentiaire. Dès 1893, M. René de Semallé.[1], faisant le procès de notre système pénitentiaire, lourd pour notre budget, léger pour les déportés, mais désastreux pour les populations indigènes ou les vrais colons, proposa le choix d’une terre inhabitée, un peu rude et qui, par sa position géographique, rendrait toute évasion impossible. Il avait pensé à la Nouvelle-Géorgie du Sud ; mais les îles Kerguelen, ne se trouvant qu’à une latitude de 49°, sur la route de l’Indo-Chine, dans des parages où le poisson abonde, lui parurent d’autant mieux répondre aux desiderata que leur qualité de possession française n’était pas contestée. Cette solution fut également proposée par M. de Mahy, qui porta la question devant le Parlement sans pouvoir obtenir un vote de la Chambre.

L’amiral Layrle insista, de son côté, sur l’utilité de cet archipel comme centre de ravitaillement et comme dépôt de charbon, surtout dans l’hypothèse où, en cas de guerre, la navigation serait interrompue par le canal de Suez. L’accostage, pour les steamers, n’est plus une difficulté. Depuis 1840, en effet, la vapeur a détrôné la voile dans les marines militaires et rendu l’atterrissage dans les fjords moins compliqué.

À ces raisons, d’ordre administratif et militaire, s’en ajoutent d’autres, d’ordre économique et colonial.

Le peu qu’on savait sur l’intérieur des îles Kerguelen, quand le commandant Lieutard les visita, suffisait pour faire envisager la possibilité d’y tenter l’élevage. L’équipage de l’Eure avait constaté que des lapins, laissés dans l’île principale par le Volage, y avaient pullulé ; il n’ignorait pas que les animaux débarqués par les expéditions antérieures avaient trouvé sur place une nourriture abondante.

Ces faits ne devaient plus passer inaperçus. Un des savans les mieux qualifiés pour les apprécier n’hésita pas à en dégager le caractère pratique.

« Il ne serait pas impossible, disait Alphonse Milne Edwards[2], de demander à ces îles ce que les Anglais ont obtenu des îles Malouines, situées dans les mêmes conditions

  1. De l’établissement d’une colonie pénale à Kerguelen, par M. René de Semallé. Versailles, Le Veuve et Aubert, 1893.
  2. Enseignement spécial aux voyageurs au Muséum d’histoire naturelle. Leçon d’ouverture, 25 avril 1893.