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que, voulant être comique, elle n’est que lugubre, est dépourvue peut-être de naturel encore plus que de jovialité. Le lyrisme, c’est-à-dire l’effusion chaude et comme la coulée de la vie et de l’âme dans une forme sonore, est l’un des élémens, l’une des vertus et des beautés qui se retirent de plus en plus de la musique actuelle. Lorsque cette musique s’inspire de Shakspeare, ou prétend s’en inspirer, la retraite est particulièrement fâcheuse.

L’ordre harmonique n’est pas moins indigent. On sait d’abord combien est rare dans l’opéra moderne (ou le drame lyrique), je ne dis pas l’accord, mais la rencontre des voix. Duos, trios, quatuors ou quintettes, tout cela ne s’écrit plus, si ce n’est par hasard, un peu au hasard aussi. La conversation des trois sorcières de Macbeth, quand elle tourne au trio, n’y gagne pas grand’chose. Les chœurs, du peuple ou des soldats, ne consistent guère qu’en des cris simultanés. À la fin de tel ou tel acte, où la foule intervient, telle ou telle page a beau comporter le plus grand nombre de parties possible, il y a loin de cette apparente polyphonie à la plénitude et à la solidité, au « concert » réel d’un quatuor de Haydn ou d’un motet à quatre voix de Palestrina.

Quant au rythme, on n’ignorait pas avant Macbeth, mais dans Macbeth on peut apprendre encore comment s’en poursuit aujourd’hui le démembrement et la dislocation. L’orchestre ? Il est symphonique, ou ce qu’on est désormais convenu d’appeler ainsi : j’entends qu’on y entend quelques motifs, d’ailleurs sans intérêt, convenablement rappelés, ressassés ou rabâchés. Comme il sied aussi, l’orchestre a le principal rôle, quand ce n’est pas le rôle unique. Depuis que ce diable de Wagner a déchaîné le monstre, celui-ci dévore tout. Après les actes, les entr’actes mêmes sont devenus sa proie. Une fois le rideau baissé, naguère, la musique s’arrêtait. Elle continue maintenant, que dis-je, elle redouble. Elle revient sur ce qui précède, à moins qu’elle n’anticipe sur ce qui suivra. On appelle cela des intermèdes symphoniques. Ici les intermèdes symphoniques sont terribles. Macbeth a tué le sommeil. La musique de Macbeth a tué le repos.

Sans tuer la parole, elle ne lui donne pas la vie supérieure, exaltée, « magnifiée, » comme dit Pedrell, que le verbe doit recevoir du son. Les mots, les mots célèbres de Shakspeare, on les retrouve tous ici, plutôt qu’on ne les reconnaît. Ils arrivent tous à leur place, à leur heure, mais atténués, émoussés, éteints, même les plus éclatans. À tant d’images verbales, pas une image sonore ne répond ; dans les profondeurs de la musique, pas un écho ne s’éveille. Quelle erreur, entre beaucoup d’autres, lorsque le vieux roi Duncan, approchant du