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Varnbühler répondit le 19, toujours avec profonde douleur, que le gouvernement wurtembergeois se voyait forcé d’associer ses armes à celles de la Prusse par trois raisons : 1° les obligations résultant des traités d’alliance de 1866 ; 2° l’ancien droit germanique qui établit que lorsque le territoire est envahi ou gravement menacé, tous les États allemands doivent participer à sa défense ; 3° l’alliance intime avec la Bavière dont une province, le Palatinat du Rhin, est exposée aux ravages de la guerre. Toutefois, en notifiant cette résolution, Varnbühler déclara qu’il ne voulait envoyer ses passeports à Saint-Vallier que lorsque se seraient produits des faits de guerre ou une violation du sol germanique. Saint-Vallier ne devina pas qu’on voulait nous amuser le plus longtemps possible ; il trouva naturel qu’on tînt à jouir de sa présence, et il ne donna pour motifs à la rupture que la peur de la Prusse, l’excitation de l’armée et du bas peuple soulevé par les agens prussiens. Et il, répondit, à la surprise que Gramont lui avait exprimée sur sa dépêche, qu’il n’avait été qu’un rapporteur fidèle des opinions qu’il entendait autour de lui. Quant à lui, c’est avec un sentiment d’orgueil pour son pays qu’il avait lu et relu ses énergiques déclarations. (22 juillet.)

Le même jour, Saint-Vallier reçut ses passeports. Avant de partir, il alla prendre congé du Roi, qui avait manifesté le désir de le voir en particulier. L’entrevue eut lieu dans le jardin de la résidence d’été. Le regard inquiet du Roi sondait les profondeurs de chaque bosquet pour s’assurer que personne n’écoutait ; au plus léger frôlement du feuillage, il se levait, explorait alentour et, quand il s’était assuré qu’il n’était pas épié, exprimait ses regrets, ses sympathies pour la France et pour l’Empereur. Un bruit se faisait-il entendre, il changeait de langage, et d’une voix haute, s’écriait : « Je fais des vœux pour la paix, mais je suis Allemand.  » Dès son arrivée à Paris, Saint-Vallier se précipita chez Gramont et lui exprima une admiration presque extatique de sa politique : enfin il commençait à vivre ; enfin il avait trouvé un ministre selon son cœur. « Et puis, voyez-vous, monsieur le duc, ce qui me transporte, ce n’est pas tant l’avenir que j’entrevois, c’est surtout parce que je vois enfin une politique française.  »