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même la taxation des honoraires librement consentis. Mais cette prescription n’avait pas été, ne pouvait pas être appliquée. Or, plus de vingt ans après, en 1602, le duc de Luxembourg porta plainte contre un avocat qui demandait, suivant lui, des honoraires excessifs. Tout aussitôt le procureur général rappela l’ordonnance, et la Cour rendit un arrêt qui commanda qu’elle fût exécutée désormais. Le Barreau protesta. Le Parlement maintint son arrêt, avec injonction, aux avocats qui ne voudraient pas y déférer, de le dire, pour être rayés de la « matricule » ou tableau Le Barreau entendit ce nouvel arrêt, le 18 mai. Puis, le 21, tous les avocats, au nombre de 407, se réunirent, et s’en furent processionnellement au greffe, où ils déposèrent leur insigne, le chaperon ; ils déclarèrent en même temps « qu’il était tout à fait indigne de leur profession de soumettre à un gain limité et mercenaire l’honoraire qu’on leur offrait volontairement, en reconnaissance des vertus et des éminentes qualités nécessaires à un bon avocat. » Le même jour, le lendemain, les audiences furent désertes, et, faute d’avocats, le Parlement dut renoncer à siéger. Il ne savait comment se tirer d’embarras : rapporter son arrêt, il ne le pouvait ; se passer d’avocats était également impossible. Il eut recours au Roi. Le Roi était Henri IV. La difficulté ne lui sembla pas insoluble : du moins, il donna la solution qui devait satisfaire aux susceptibilités respectives du Parlement et du Barreau. Pour le Parlement, il décida que l’arrêt serait maintenu ; pour le Barreau, il fit entendre qu’on ne l’appliquerait pas. L’arrêt fut en effet considéré comme non avenu, de même que l’article de l’ordonnance de Blois. Et la paix, un instant compromise, se trouva définitivement rétablie. Le Parlement avait éprouvé dans cette aventure, et il ne devait plus oublier, que l’union séculaire comportait nécessairement l’indépendance du Barreau, et en tirait même son inestimable valeur.

C’est ainsi que l’Ordre des avocats, si bien associé au Parlement, se développa de la même vie puissante que ce grand corps, partagea ses bonnes et mauvaises fortunes, prit sa part aux mêmes belles œuvres et aux mêmes abus, s’imprégna de ses vertus et de sa haute intelligence du droit, comme de ses étroitesses et de ses préjugés. Au regard du public, plus encore que dans la réalité, il se confond avec le Parlement. Magistrats, avocats, et aussi procureurs semblent un bloc, qui est le monde de la justice. Par la langue de la procédure qui est un jargon,