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impose une manière toujours plus directe, une langue plus rapide et plus vive. Ce qui reste commun à ces grands avocats, c’est qu’ils eurent tous le talent de composer avec force, et le soin de parler purement. La plaidoirie moderne, dans sa simplicité, sa clarté, sa marche alerte, — les exemples le prouvent, — peut être un modèle de sobre et vigoureuse élégance.

Comme s’il n’eût pas assez fait pour les avocats, au criminel, au civil, le XIXe siècle leur accorda en outre une prodigieuse fortune politique. Le Barreau, fraction considérable, Instruite, active de la bourgeoisie pouvait tirer son profit personnel de la Révolution de 1830 qui la portait tout entière au pouvoir. Ce profit dépassa de beaucoup celui des industriels, des commerçans, des ingénieurs, de tous les autres, élémens bourgeois. Dès 1830, des avocats entrent au Parlement, par viennent, au ministère ; Paillet, Berryer, Mario sont députés. Avec la Révolution de 1848, Marie est président de l’Assemblée nationale ; une équipe nouvelle et brillante débute à son tour : Sénard, Dufaure, qui sont ministres, Jules Favre, Bethmont, Ledru-Rollin, Lanjuinais, Buffet. L’avènement du Second Empire les remplace par d’autres avocats : cinq Bâtonniers, Delangle, Duvergier, Baroche, Chaix d’Est-Ange, Boinvilliers sont appelés au Sénat ; trois premiers sont ministres, et après eux, M. Émile Ollivier. La Révolution du 4 septembre et la fondation de la République provoque le retour des avocats de 1848 ; Jules Favre est au gouvernement provisoire avec Ernest Picard à l’Intérieur et Cresson à la Préfecture de police. Buffet devient président du Conseil, puis Dufaure. Allou est sénateur inamovible. Arrivent Grévy, président de la Chambre, puis président de la République, Gambette, Ferry, Floquet, Waldeck-Rousseau, tous présidens du Conseil. Deux avocats encore, M. Loubet et M. Fallières, devaient être chefs de l’État, et combien d’autres avocats, députés ou sénateurs, ministres, la tête du gouvernement ! Au début du Barreau dans la politique, quand il envoyait deux cents de ses membres à la Constituante de 1789, la suite des temps a parfaitement répondu.

Il en devait être ainsi. Les esprits chagrins déclarent volontiers que la place des avocats, qu’ils estiment bavards, est bien dans les assemblées où triomphe souvent le bavardage inutile. Cette opinion malveillante est trop exclusive : parler pour ne rien dire n’est pas le privilège des avocats, et c’est au contraire,