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Jeunes-Turcs qui sont en relations avec l’extérieur, ont compris que les procédés employés en Macédoine ont soulevé une réprobation universelle ; et, comme ils ont besoin d’avoir pour eux l’opinion, ils ont réfléchi sur les inconvéniens graves que pouvaient entraîner les méthodes brutales des officiers ; ils se plaignent aujourd’hui du despotisme des militaires et cherchent à rejeter sur l’armée la responsabilité de violences qui rabaissent la Jeune-Turquie au niveau du régime hamidien. Les autorités ottomanes sont entrées en pourparlers avec les chefs albanais qui se sont réfugiés au Monténégro. Tous, y compris Issa Boletin, ont reçu l’autorisation de rentrer dans leur pays : il est convenu qu’ils déposeront leurs armes entre les mains des autorités qui les leur rendront aussitôt ; on ferme les yeux sur l’introduction des fusils en Albanie, si bien que l’on. se demande si celle subite indulgence, après les traitemens sévères de Djavid pacha et de Torghout pacha, ne cache pas de nouvelles intentions, et si les Turcs ne chercheraient pas à regagner les sympathies des Albanais musulmans pour réduire plus aisément à leur merci les Albanais chrétiens, les Slaves et les Grecs de Macédoine : ce serait un nouveau retour à la politique hamidienne. Mais tenons-nous-en à l’hypothèse la plus favorable : les Jeunes-Turcs ont senti le danger de leur politique et ils ne veulent plus recourir qu’à des procédés dignes d’eux et des premiers mois de leur gouvernement. La politique la plus juste et la plus généreuse serait en même temps la plus habile ; peut-être est-il déjà trop tard pour y recourir : en Albanie et on Macédoine, la politique suivie depuis un an a jeté des semences de haine qu’il sera difficile d’étouffer.

Si les Jeunes-Turcs attachent tant d’importance à réduire au silence les populations non turques, c’est qu’ils veulent enlever tout prétexte d’intervention aux différens États balkaniques dont les arméniens les inquiètent. Comment ne voient-ils pas qu’ils vont précisément à l’encontre de leur but et qu’en persécutant les nationalités chrétiennes, ils mettent les États voisins, Bulgarie, Serbie, Grèce, dans le plus terrible embarras ? À Sofia surtout, l’opinion publique, surexcitée par les malheurs des « frères » de Macédoine, pourrait un jour obliger le gouvernement à une intervention armée. Au printemps dernier, les rois de Bulgarie et de Serbie sont venus à Constantinople faire visite au Sultan ; des intérêts économiques très précis les y amenaient,