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pages, où nous n’avons cherché qu’à être véridique, choquent-peut-être, au premier abord, les susceptibilités de quelques-uns d’entre eux, nous espérons fermement qu’elles trouveront, auprès des plus éclairés, compréhension et sympathie.

On se demande, en vérité, comment les Jeunes-Turcs ne voient pas qu’ils se donnent à eux-mêmes le plus fâcheux des démentis en recourant à des mesures qui ont déjà fait dire qu’il n’y a rien de changé en Turquie, que le nom et le nombre des profiteurs et des oppresseurs. De telles pratiques fourniraient un argument à ceux qui prétendent, en invoquant l’histoire, que le Turc n’est pas susceptible de progrès, qu’il restera toujours une race de proie, incapable de s’adapter à une autre civilisation que celle des camps et de concevoir un autre idéal que la conquête et la domination brutale. Une armée forte et entraînée est indispensable à la sécurité et à la vitalité de la Jeune-Turquie, mais il serait déplorable que la force militaire servît de paravent à tous les abus et d’instrument à toutes les oppressions. Une Jeune-Turquie qui serait ainsi en contradiction permanente avec les principes qui sont sa raison d’être, pourrait recueillir les encouragemens intéressés de l’Allemagne et les sympathies de l’Empereur qui fut l’ami particulier d’Abd-ul-Hamid, mais elle ne saurait obtenir l’approbation ni l’appui de la France. Que la Jeune-Turquie, fidèle à des principes de liberté qu’elle a pris chez nous, entreprenne donc la tâche difficile mais magnifique qui s’offre à elle : réconcilier progressivement tous les peuples qui vivent côte à côte sous l’autorité du Sultan, les habituer, en améliorant leur condition matérielle et morale, à se tolérer mutuellement et à participer, chacun avec ses aptitudes, sa religion, sa civilisation, son langage particulier, à la vie générale de l’Empire, organiser l’essor économique des différentes provinces où la production et la circulation des richesses sont à l’état embryonnaire. Pour une pareille œuvre, créatrice de richesse, génératrice de liberté et de concorde, la Turquie peut compter sur l’assistance morale et matérielle de notre pays, mais elle ne l’obtiendrait pas pour une politique dont la conséquence fatale serait de troubler la paix générale, et de conduire la Turquie elle-même à sa ruine financière et à sa dislocation définitive.


RENE PINON