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Il s’approcha tout doucement de la Madone des miracles : les ombres de la nef, l’obscurité derrière les colonnes, étaient pleines de mystères et d’inquiétudes. Cette église à demi vide se remplissait peu à peu, par la force de son imagination, de toute la foule des respects humains. C’étaient ses collègues les plus goguenards, les plus sceptiques ! C’était Nora qui l’avait vu entrer de loin à San Francesco, et qui l’avait suivi ; c’était Matteo Cantasirene, qui riait assez bruyamment pour se faire entendre à travers tout Milan !


Pour un seul verbe « penser, » que de descriptions ! Comme les perceptions de l’œil, celles de l’oreille même, prédominent sur l’analyse des sentimens ! Au lieu de ces hallucinations commodes, qui permettent de projeter à l’extérieur les passions de cette âme agitée, n’entendrai-je point, à la fin, la douleur profonde s’exprimer en termes qui me touchent ? L’auteur va-t-il s’évader toujours ? Il me semble qu’il arrive, en continuant son récit, à cette notation intime que je désire :


La crainte, l’oppression, devenaient fièvre : et pourtant il fallait s’agenouiller… prier, prosterné, devant cet autel… Il s’agenouilla, en effet… Mais il éprouva une impression étrange… Il entendait des pas derrière lui, qui s’approchaient… Une main lui frappait sur l’épaule… Il se leva brusquement… Il n’y avait personne.


Rien de plus ? Est-ce déjà fini ? Devrai-je me contenter de points de suspension ? C’est fini, en effet ; Rovetta revient à la description, à laquelle la nature de son talent l’a condamné :


Rien qu’une vieille, avec le châle violet de l’hospice, qui marmottait le Rosaire en fixant la Madone de ses yeux malades…

Et pourtant, l’idée d’être aperçu de cette vieille, tandis qu’il s’agenouillait une seconde fois, fut plus forte que lui. C’était la crainte des préjugés du monde qui l’emportait sur toutes les autres craintes ; et il sortit de l’église, en épiant à droite, à gauche, plus tremblant encore qu’au moment où il y était entré.

Ainsi, même ce dernier éclair d’espérance, en Notre-Seigneur, en la Madone, s’était évanoui.


Cependant il est une autre épreuve, où l’on attend ceux qui se livrent à l’étrange entreprise de peindre l’espèce humaine : la façon dont ils jugent les femmes. Les lecteurs ont été soumis à de si rudes expériences, à ce point de vue, qu’ils sont devenus singulièrement indulgens, à condition toutefois que l’image qu’on leur présente offre, sinon quelque noblesse, au moins