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l’appui de sa théorie, M. Paolo Arcari regarde les auteurs contemporains, cherche le plus caractéristique parmi les « témoins du présent, » et trouve Gerolamo Rovetta.

« Le témoin du présent, » le « confesseur de l’aujourd’hui, » telle est bien la caractéristique où ses qualités et ses défauts viennent se fondre. Sa morale « est celle de notre temps et de nos mœurs ; » « sa respiration paraît mesurée sur celle de la foule autour de lui ; » il est « le photographe de la société moderne. » Son labeur « a abouti à une course vertigineuse dans le champ clos des idées contemporaines ; » « à tous les courans qui ont traversé son siècle, il a momentanément confié sa barque ; » « il s’est mis à la fenêtre, pour voir d’où venait le vent : » toutes images, recueillies par M. Arcari chez les différens critiques de Rovetta, qui traduisent la même impression dominante. Comme il n’est pas un penseur, il n’a, à proprement parler, rien créé. Comme il n’est pas un très grand artiste, il n’a guère déformé. Et comme il est artiste cependant, il a conservé en les groupant les images qui se sont offertes à lui. M. Arcari, avec l’indiscrétion d’un savant qui considère une âme comme un sujet d’expérience, a montré qu’il n’avait ni des yeux très perçans, ni des oreilles très délicates, ni même, comme il arrive à certains auteurs décadens, un odorat spécialement développé. Il a montré que sa capacité sentimentale était médiocre ; qu’il n’avait ni une grande puissance d’aimer, ni une grande puissance de vouloir. De même, il est bien certain que chez lui ni l’association des idées, ni le jugement, ni le raisonnement, ni d’une façon générale aucune faculté, ne présentaient ce déséquilibre qui fait quelquefois le génie, mais qui invente et ne conserve pas. Rovetta conserve. Il ne restera pas au nombre des auteurs chez qui les générations successives vont chercher un peu du doute ou de la vérité qui demeurent éternellement, mais il restera comme un gardien fidèle de documens. Chaque roman, chaque drame, sera comme un album de portraits anciens, qui charmeront d’autant plus, peut-être, qu’ils n’offriront pas l’aspect raidi des figures de modes surannées, qu’ils seront groupés comme au naturel, et qu’on croira voir les personnages marcher, courir, et souvent même se heurter. Les couleurs, et surtout les traits, ne s’atténueront pas de sitôt, et garderont longtemps leur valeur première, étant l’œuvre d’une main habile, experte dans son art, et qui ne voulait pas forcer son talent.