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déjà à leur donner un exceptionnel intérêt. Et même il comprendrait mieux la physionomie de chaque musée et l’originalité de chaque œuvre ; il acquerrait un sens plus sûr de l’histoire de chaque cité ; il pénétrerait davantage dans l’intimité du passé, si c’était d’abord du présent qu’il partait.

À mesure qu’on se rapproche de la Vénétie et de la Lombardie, où Rovetta se sent chez soi, les traits deviennent encore plus précis, et gagnent en vigueur. Il a séjourné à Vérone, où le second mariage de sa mère l’amena de bonne heure ; il a goûté la douceur des heures passées à Venise, quand on est las de la féerie des couleurs, las des gondoles et des pittoresques canaux, et qu’on se repose sur la place Saint-Marc, assis aux tables du café Florian ; il a fréquenté les petites villes et les bourgs. Il vaut la peine de le suivre, à travers les campagnes fertiles, jusqu’à Santa Fiore : le « palazzo dei signori » fait contraste, par sa masse et par sa hauteur, avec les maisons des paysans ; c’est le jour où les maîtres vont revenir l’habiter. Le syndic vient leur présenter ses complimens respectueux ; la musique municipale joue le Miserere du Trouvère, un chœur de Nabucco, et la Stella confidente ; un poète du cru a affiché partout les sonnets et les odes qu’il vient de composer pour célébrer le grand événement. De même, nous le suivrons à Borghignano, la préfecture ; il nous montrera des détails qui nous feront sourire, les uns par analogie avec les mœurs de nos préfectures françaises, et les autres par opposition. Nous apprendrons que les bals officiels sont les mêmes dans tous les pays ; qu’on y voit des invités mélangés, des toilettes surprenantes, et un buffet douteux. Mais aussi, nous irons au théâtre, entendre la diva Soleil, engagée pour donner deux opéras pendant la saison de carnaval. Le président du théâtre nous offrira, à notre goût, du thé, du vin, des bonbons ou des cigares, achetés par l’économe. Nous nous perdrons dans ces immenses palais, tout pareils à ceux que Palladio semble avoir construits à Vicence pour des géans ; si nous y allons faire quelque visite, nous serons étonnés par le caractère grandiose de l’entrée, par l’ampleur des voûtes, l’épaisseur des murs, et le nombre des salles que nous devrons traverser avant d’arriver jusqu’à la maîtresse de la maison. Nous rencontrerons les frères Tongoloni de Lastafarda, l’aîné et le cadet, qui règnent sur les élégances de Borghignano ; le marquis de Toscolano, qui pousse la passion du cheval