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« Comme le Sahara suffoqué par le sable
« Vous brûlerez en vain, sans qu’un limpide amour
« Verse à votre chaleur son torrent respirable,
« Et vous donne la paix que vous fuiriez toujours… »

— Et, tandis que j’entends cette voix forte et brève,
Je regarde vos mains, en qui j’ai fait tenir
Le flambeau, la moisson, l’évangile et le glaive,
Tout ce qui peut tuer, tout ce qui peut bénir.

Je regarde votre humble et délicat visage
Par qui j’ai voyagé, vogué, chanté, souffert,
Car tous les continens et tous les paysages
Faisaient de votre front mon sensible univers.

— Vous n’êtes plus pour moi ces jardins de Vérone
Où le verdâtre ciel, gisant dans les cyprès,
Semble un pan du manteau que la Vierge abandonne
À quelque ange éperdu qui le baise en secret.

Vous n’êtes plus la France et le doux soir d’Hendaye,
La cloche, les passans, le vent salé, le sol,
Toute cette vigueur d’un rocher qui tressaille
Au son du fifre basque et du luth espagnol ;

Vous n’êtes plus l’Espagne, où, comme un couteau courbe,
Le croissant de la lune est planté dans le ciel,
Où tout a la fureur prompte, funèbre et fourbe
Du désir satanique et providentiel.

Vous n’êtes plus ces bois sacrés des bords de l’Oise,
Ce silence épuré, studieux, musical,
Ce sublime préau monastique, où l’on croise
Le songe d’Héloïse et les yeux de Pascal.

Vous n’êtes plus pour moi les faubourgs du Bosphore
Où le veilleur de nuit, compagnon des voleurs,
Annonce que le temps coule de son amphore
Pesant comme le sang et chaud comme les pleurs.