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Nous voulons néanmoins donner quelques satisfactions à la presse allemande. Nous sommes de son avis : le discours du chancelier, lorsqu’il rend compte des entretiens de Potsdam, parle d’autre chose encore que des questions asiatiques ; il parle des Balkans et de l’intérêt que la Russie et l’Allemagne y ont également au maintien du statu quo ; il affirme que les deux puissances se sont engagées à ne se prêter, d’où qu’elle vienne, à aucune entreprise qui le troublerait. C’est quelque chose que cela ; mais la Russie ne semble pas, pour le moment y attacher une importance particulière, peut-être parce qu’elle estime qu’après l’ébranlement causé par l’annexion de l’Herzégovine et de la Bosnie à l’Autriche, tout le monde a besoin de se remettre d’une alarme si chaude, et que personne ne menacera plus de quelque temps le statu quo balkanique. Quoi qu’il en soit, les chemins de fer d’Asie occupent seuls sa diplomatie.

La question est d’ailleurs très importante, et non seulement pour la Russie et pour l’Allemagne, mais encore pour l’Angleterre et pour nous ; elle mérite qu’on s’y arrête. Ce qui s’est passé à Potsdam est de nature à surprendre comme la manifestation d’un changement rapide, profond, inattendu, dans la politique de la Russie, qui s’était montrée jusqu’à ce jour très préoccupée de ne pas favoriser, par la création de chemins de fer nouveaux, la pénétration du commerce allemand dans les contrées de l’Asie qu’elle réserve à son influence. Cette préoccupation avait même été poussée très loin par le gouvernement russe : il paraît s’en être aujourd’hui affranchi, et cela pour des motifs qu’il nous est assez difficile de pénétrer. On dit beaucoup, depuis quelques jours, que le projet d’arrangement soumis par la Russie à l’Allemagne n’a pas été le produit d’une génération spontanée. Une conversation avait été entamée en 1907 entre Berlin et Saint-Pétersbourg, et seuls les événemens provoqués par l’entreprise autrichienne dans les Balkans en avaient suspendu, plutôt même que troublé le cours. En 1907 s’était produit un arrangement entre la Russie et l’Angleterre au sujet de la Perse : on en connaît les dispositions générales qui abandonnaient, au nord de la Perse, une zone à l’influence russe, et, au sud, une zone à l’influence britannique. Chacune des deux puissances avait reconnu et circonscrit ses intérêts dans des limites qu’elles avaient exactement précisées : c’était là un gage qu’elles s’étaient mutuellement donné pour sceller le rapprochement qui avait eu lieu entre elles. Le gouvernement allemand aurait, paraît-il, demandé à la Russie des explications à ce sujet ; il l’aurait même fait par une note, et c’est à cette note que le gouvernement russe répondrait aujourd’hui.