Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnut que la proclamation de la neutralité serait une grande tranquillité pour la Prusse, mais les relations avec elle ne deviendraient que plus intimes si elle était victorieuse. « Que devons-nous à la France ? Son Empereur a parlé à l’Autriche comme un cavalier qui dit à l’autre : « Chevauchons ensemble, » puis sans le prévenir, selle son cheval, part au galop, et crie à son compagnon, qui a encore sa selle à ses côtés : « Suis-moi ! » Qui, d’ailleurs, pourrait conseiller d’entamer une action commune avec un empereur qui n’est jamais allé au bout d’aucun de ses desseins ? Que l’Autriche proclame sa neutralité ou qu’elle demeure passive, elle encourra le mécontentement des Français, dès qu’elle ne se prononcera pas en leur faveur ; mais personne ne peut proposer de prendre un tel parti. » Il concluait qu’on fit savoir incontinent à la France que l’Autriche-Hongrie n’avait aucun motif de modifier sa neutralité maintenant ou dans le cours ultérieur de la guerre. En même temps, on informerait la Prusse par son ambassadeur Schweinitz que l’Autriche ne sortirait de cette neutralité que si une autre puissance (il s’agissait de la Russie) sortait de son abstention et entrait dans la lutte. L’archiduc Albert, méfiant, réservé, craignant d’être accusé de trop s’immiscer dans les affaires de l’Etat, ne défendit pas le système du ministre de la Guerre, qui aurait dû être le sien, de la neutralité armée, prélude de la coopération. François-Joseph, après un moment d’hésitation du côté de Beust, se rallia à son tour à l’opinion d’Andrassy, mais en repoussant les déclarations spéciales à la France et à la Prusse qu’Andrassy souhaitait : un tel procédé compromettrait sans être du moindre profit ; les cours de Berlin et de Paris devaient être informées comme toutes les autres cours. La neutralité fut votée dans ces termes, et, quoique résolument pacifique, avec un armement de prévoyance : on compléterait le pied de paix de l’armée et on entamerait les préparatifs exigeant du temps, fortifications, achat de chevaux, etc.

Viizthum, se moquant, nous annonça ce résultat comme un triomphe de Beust à notre profit : c’était en réalité sa subordination définitive à Andrassy, devenu le véritable directeur de la politique autrichienne ; c’était surtout une défaite pour nous, car, les neutres ne pouvant se lier par un traité particulier avec aucun des belligérans, il s’ensuivait l’abandon du traité français à trois préparé à Paris le 15 juillet, qui ne fut pas même soumis