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légendes d’or et de martyre qui lui sont contées depuis si longtemps. Et dès le premier coup d’œil, il a pu voir qu’il fallait beaucoup en rabattre de tous ces contes. Les cent quarante toiles collectionnées au Pavillon de Flore sont ce qu’on pouvait attendre du collecteur. Ce sont des tableaux comme les autres. Les Millet sont des Millet, les Decamps sont des Decamps, les Meissonier sont des Meissonier, les Corot sont le plus souvent des Corot et les Ziem ne sont jamais des Turner. Deux maîtres y sont, il est vrai, fort bien représentés : Millet et Meissonier ; deux le sont fort mal : Rousseau et Corot. Le reste est à son ordinaire.

Si cet ordinaire nous déçoit un peu, c’est peut-être que nous commençons à juger sous l’aspect de l’absolu ces peintres dits de 1830, qui sont surtout grands sous l’aspect du relatif. Ce furent des novateurs, des découvreurs, des « inventeurs, » au vieux sens du mot : ce ne furent pas de parfaits réalisateurs. Les découvertes qu’ils firent dans le domaine infini de la nature servent aujourd’hui à tout le monde, sont tombées dans le domaine public. Ce sont des vérités devenues banales dont nous vivons, sans songer à qui nous en sommes redevables. Songeons-y un instant et nous sentirons le mérite de ces vieux maîtres. Une heure passée en leur compagnie nous apprendra ou nous rappellera bien des choses. Par un clair matin, lorsque le soleil baigne le jardin des Tuileries, aperçu d’un côté, la Seine et les ponts, vus de l’autre, nous aurons, avec la nature, des points de comparaison immédiate qui nous rendront la démonstration plus facile. A côté de nous, les petites salles des maîtres hollandais, ancêtres directs des peintres de 1830, nous fourniront des points de comparaison avec l’art. Nous éprouverons, chemin faisant, que le culte rendu par la foule à ces vieux maîtres n’est pas si absurde, car on voit bien que ce sont des découvreurs, et l’on croit que ce furent des méconnus.


LA SALLE DE L’ANGELUS

Méconnus, ils ne le furent pas. Aucun des grands artistes représentés ici n’est mort sans gloire, et quelques-uns en ont eu assez jeunes pour en goûter toute la saveur. Aucun n’a éprouvé la disgrâce survenue à d’autres de survivre à son œuvre et tous sont morts en pleine ascension. Ainsi Millet qu’on a coutume