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charge de foin, dénote chez Millet, dès 1862, un grand souci de « plein air. » Ce souci ne fait que s’accentuer avec les années, et nous voyons, dans son Parc à moutons, clair de lune, exposé en face, et peint dix ans après, en 1872, une recherche encore plus attentive de l’enveloppe atmosphérique. Il est vrai que c’est un effet de nuit ; mais, à cette époque, les effets de nuit étaient peints avec autant de netteté, de dureté, que les effets de jour. Ici, pour la première fois, peut-être, l’âme de la Nuit circule, estompe et halluciné. « Ah ! disait-il un jour à un ami, je voudrais pouvoir faire sentir, à ceux qui regardent ce que je fais, les terreurs et les splendeurs de la nuit ! On doit pouvoir faire entendre les chants, les silences, les bruissemens de l’air. Il faut percevoir l’infini… » cette page nocturne, si on la compare à toutes celles qu’on admirait alors, à, celle de Van der Neer, par exemple, qui se trouve à côté, dans les petites salles hollandaises, est bien une « découverte. »

A côté du Parc à moutons, Meissonier, avec ses Amateurs de peinture, se charge de nous enseigner ce qu’est un tableau privé d’atmosphère. Il en donne le plus parfait exemple. Ses bonshommes ont le geste juste, précis, particulier. Tout est exact au millimètre, repéré de façon à réduire les erreurs à l’infinitésimal. Le peintre n’a oublié qu’une chose : l’air sans lequel les vivans ne peuvent vivre. Tout est là comme sous une cloche pneumatique, dans le vide. Pratiquement, mettre de l’air dans un tableau consiste à transporter sur un objet un peu de la couleur des objets voisins, et l’on voit que Millet, à côté, ne s’en est pas privé, non plus que Corot. Ici, chaque objet garde sa couleur propre, n’en cède rien au voisin, n’en reçoit aucune de son milieu. Dans le détail local, tout est bien observé : exemple, l’ombre projetée par la manchette de l’artiste sur la main du visiteur assis qui tient un chapeau, ombre plus forte sur le bord, pénétrée de reflets au milieu. Mais rien ne relie chaque figure à l’ensemble. Il ne circule aucune atmosphère dans cet atelier.

Sur le même panneau, un tableau célèbre du Salon de 1852, l’Homme choisissant son épée, nous offre à peu près le même exemple. Cette figure fut saluée, à son apparition, d’applaudissemens unanimes. Gustave Planche y voyait l’égale « en souplesse et en largeur des maîtres les plus habiles de l’école hollandaise » Trente ans plus tard, à une exposition