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d’exception. Je constatais seulement qu’aucun n’arrivait à une signature courante ; les caractères restaient tremblans, les jambages non liés, et il leur était à peu près impossible d’écrire d’une manière rectiligne. Chez Jehanne, grâce à ses lettres, nous suivons cette évolution. Ces mêmes études sur le document humain m’ont amené à constater qu’une signature, aussi courante que celle du 16 mars, indique quelqu’un qui ne s’est pas simplement borné à apprendre à signer. Les personnes qui ont une écriture aussi déliée savent toutes lire et écrire. Oserais-je le dire pour Jehanne ? Sans pouvoir la résoudre par l’affirmative, cette question s’impose à notre attention.

Tout concourt donc à établir une opinion très ferme au sujet des signatures que nous avons reproduites. Faute d’avoir rapproché les dates, on pouvait croire que parfois Jehanne signait, et que d’autres fois elle négligeait de le faire, sans qu’on pût s’en expliquer le motif. Telles que nous présentons les lettres, par ordre de date, ce motif ressort bien évident. Le 17 juillet 1429, lorsque Jehanne écrivait au Duc de Bourgogne le jour du sacre du Roi, elle ne savait pas signer, et dix-neuf jours après, le 6 août 1429, elle ne le savait pas davantage (première lettre aux habitans de Reims). Trois mois s’écoulent, et le 9 novembre 1429, nous trouvons dans la lettre de Riom une première signature, encore peu exercée. Elle a donc appris pendant cet intervalle, et cela s’explique d’autant plus que les trêves lui ont imposé un repos relatif. Ce repos, elle l’a employé à s’instruire. Elle était adroite, elle était intelligente, entourée de nombreux clercs pour lesquels l’instruction était chose capitale. N’étaient-ils pas tout indiqués pour lui en donner les premiers élémens ? et l’on ne peut supposer que Jehanne n’ait pas cherché à en profiter. Quatre mois passent : le 16 mars 1430, nous nous trouvons en présence d’une écriture tellement facile et courante qu’elle semble n’avoir été tracée que par une main habituée non seulement à signer, mais encore à écrire.

Les armistices avaient été prolongés. « Très marrie de ce que le Roi n’entreprenait de conquester de ses places sur ses ennemis, » que pouvait-elle faire de mieux que de s’instruire pour occuper ses loisirs ? Elle s’instruisit donc, dans une mesure qu’il sera toujours difficile de préciser exactement ; mais il suffit de voir ses signatures successives pour dire d’une manière certaine qu’elle avait appris à signer, et d’une manière très