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Alpes » par Franz Reichel et Emile Gautier, deux hommes dont on ne peut pas dire qu’ils ont froid aux yeux, par Spelterini, un autre vainqueur des Alpes, le plus audacieux, le plus téméraire de tous les aéronautes, après, cependant, notre compatriote L. Gapazza. Tout de même, quand Spelterini, pour soutenir sa thèse, objecte qu’il manque encore à nos aviateurs, pour triompher du vent et de ses embûches, « les nerfs, l’œil et le sang-froid des oiseaux, » il est permis de lui faire observer que les grimpeurs d’Alpes n’ont ni les nerfs, ni l’œil ni le sang-froid des chamois, et qu’ils grimpent. Puis, Spelterini lui-même et ses compagnons de route, E. Gautier et Fr. Reichel entre autres, ne les ont-ils pas, parfois, follement bravées, ces Alpes, en atterrissant, avec leur sphérique, au beau milieu d’un glacier ou à l’extrême pointe d’une crête aiguë ? Le commandant Renard, dont on ne saurait nier la compétence et la pondération, accorde que l’expérience tentée était peut-être imprudente, mais, en tout cas, « utile. » Il est tout naturel, a-t-il écrit, que l’homme, qui a tant de peine à gagner les régions élevées du globe au-dessus desquelles les aigles et les vautours évoluent avec tant d’aisance, cherche à s’affranchir, dans ce cas, du joug de la pesanteur ; il est certain que c’est dans les pays de montagnes que le privilège des oiseaux lui a toujours semblé le plus enviable. Il était donc tout indiqué, ajoute-t-il, du moment que Morane et Chavez lui-même avaient démontré la possibilité, pour les aéroplanes, de s’élever à des hauteurs suffisantes, de penser à faire de l’aviation dans les Alpes pour les franchir. Nous sommes pleinement de son avis.

La veille de cette inoubliable traversée, le 22 septembre, on désespérait de la réussite ; ceux qui, lit-on dans le Figaro, connaissent le chaos monstrueux des Alpes et leurs effroyables abîmes entre Brieg et Domo d’Ossola, ne pouvaient croire que l’homme ait déjà des ailes assez puissantes pour dominer leurs cimes, assez sûres pour planer au-dessus de leurs précipices, ni un cœur assez vaillant pour ne pas reculer devant tant de périls accumulés ; puis, le mauvais temps s’en mêlait. Mais, le lendemain, contrairement à toutes prévisions, le temps s’était levé magnifique, les nuages étaient très haut, le Simplon apparaissait complètement dégagé.

De Domo d’Ossola les nouvelles étaient excellentes aussi. On signalait pourtant, du Simplon-Kulm, un vent assez violent dans