Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/659

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fétu que le moindre vent peut balayer ! Or l’homme qui monte le ballon libre n’a pas d’autre moteur que le vent : il est donc obligé de l’étudier dans ses causes et dans ses effets. Sans doute le vent demeurera toujours une boîte à surprises. Mais dans le ballon libre, on a tout le loisir de regarder ce qu’il y a au fond de cette boîte, tandis qu’eu aéroplane, le temps manque absolument pour discuter avec le vent et avec soi-même. Il faut avoir pris d’avance l’habitude de se résoudre. Il faut s’être débarrassé une fois pour toutes de la crainte. Si, par exemple, on est roulé dans un remous, il faut savoir que ce n’est qu’un remous et qu’on en sortira sûrement si l’appareil est robuste et la vitesse suffisante. Il faut avoir appris, et s’en souvenir à propos, que selon l’altitude le vent varie de vitesse et de direction et que, par conséquent, on doit le « tâter » avant de se dépiter ou de décider qu’on a contre soi la mauvaise chance. Puis, après l’étude de l’air, vient la connaissance totale de l’instrument dont on se sert. Il ne s’agit pas, dit toujours Leblanc, d’être le jockey heureux d’un cheval qu’on vous a mis tout sellé entre les genoux. Il est nécessaire de se faire l’éleveur et l’entraîneur de sa monture. Il faut savoir démonter, réparer, régler aussi bien la partie planeur que la partie moteur ; il faut savoir faire tout par soi-même. L’aviateur doit arriver à ce qu’à l’œil et à l’oreille, il puisse se rendre compte par lui-même de la condition générale de sa monture et, on pourrait presque dire, de la disposition particulière où elle se trouve le jour où on veut lui demander un effort suprême. Enfin, ajoute encore Leblanc, le cavalier qui connaît bien sa bête lui parle en route, la rassure, devine à un mouvement d’oreilles l’écart qui s’annonce et, par une pression de jambe, le prévient. De même, l’aviateur qui fait corps avec son outil est averti par un bruit, par un frémissement, de la faute qui se prépare. Il l’a déjà corrigée ou rectifiée quand elle se produit. Rien, en définitive, ne remplacera jamais cette persévérante étude de l’instrument, de son organisme, de ses fonctions, étude qu’il faut avoir le courage de recommencer chaque fois qu’on change de monture.

Ces conseils d’un maître peuvent paraître d’une sagesse un peu déprimante. Mais, à l’heure actuelle, surtout, on ne saurait trop les écouter, car, on nous l’accordera, si l’on veut voir se clore la liste des victimes de l’Aviation, le mieux n’est-il pas, d’abord, de chercher à clore celle de ses héros ?