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de ce désir ni officiellement, ni même officieusement. Il m’en a fait part à titre tout à fait privé et sans me prier de donner suite à une telle confidence. Vous croirez sans doute utile de la soumettre à l’Empereur, et si Sa Majesté jugeait possible de tenir compte des vœux de la Reine, il serait peut-être opportun que j’en fusse instruit le plus tôt possible. Un des secrétaires de Lord Granville m’envoie, ce matin, à titre tout à fait privé et confidentiel, la liste des propriétés de la famille de Cobourg dont il avait été question (31 juillet). »


II

Mais dès que la machine militaire eut été mise en mouvement, comme épouvanté du bruit qu’elle faisait, l’Empereur s’arrête et un revirement subit s’opère dans ses résolutions offensives. Il avait déchaîné l’audace, il lui coupe lui-même les jarrets. De Paris, il notifie à ses chefs de corps qu’il ne veut pas commencer la campagne avant la constitution complète de l’armée. Bazaine télégraphie à Frossard : « L’Empereur interdit des engagemens qui pourraient entraîner hors de la frontière ! » Ordre est donné sur toute la ligne (20 et 22 juillet) de rester partout sur la défensive, en s’éclairant et se renseignant bien, et en ayant soin de ne pas s’avancer sur le territoire ennemi. Frossard fut uniquement autorisé, si cela était nécessaire, à occuper la partie de Sarreguemines située sur la rive gauche, et Ducrot fut prié de rester tranquille à Strasbourg. Partis comme des audacieux, en toute hâte, nous nous arrêtions à l’extrémité de notre territoire, devant un pays presque sans troupes, devant une ville ouverte, des ponts mal barricadés, un bataillon d’infanterie, un régiment de uhlans ; effrayés de la terreur que nous inspirions, prenant des hommes pour des escadrons, des escadrons pour des armées, n’ayant personne devant nous et n’osant faire un pas, comme si une frontière ainsi gardée pour la forme était un abîme ouvert dans lequel nous nous engloutirions. Et, ironie du sort, cette reculade était consommée dans les jours mêmes où les Prussiens, persuadés que nous allions nous ruer sur eux, reportaient de la Sarre au Rhin leur centre de concentration.

Que s’était-il donc passé ? On ne peut pas expliquer ce revirement par la déception de l’Empereur, trouvant une armée non