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paix, la guerre déclarée il était ballotté entre la confiance au succès et la crainte des revers. Quoiqu’il eût exprimé ce premier sentiment à Mac Mahon, le second prévalait généralement dans son esprit.

Les effervescences de la rue, de la presse et du Parlement le troublaient plus qu’elles ne l’exaltaient, et loin de les exciter, comme on l’en a si sottement accusé, il était préoccupé de les calmer et de montrer à l’opinion les difficultés là où elle ne prévoyait que les triomphes : il tenait surtout à ce qu’il fût surabondamment établi qu’il ne se décidait à cette guerre que par une nécessité d’honneur, ressentie par la nation. Il me pria d’obtenir de mes amis des articles dans ce sens. Lui-même n’essaya pas de cacher sa pensée intime dans un discours à Schneider venu à la tête du Corps législatif (22 juillet) lui apporter ses vœux. A l’ordinaire, dans des cérémonies de ce genre, son visage demeurait impassible et sa voix forte, étendue, mais sans inflexions quelles que fussent les idées qu’elle exprimait, résonnait uniformément ferme. Ce jour-là, il y eut dans l’expression de son visage un visible attendrissement, et plus d’une fois sa voix fut voilée et rendue moins claire par l’émotion. « Une guerre, dit-il, est légitime lorsqu’elle se fait avec l’assentiment du pays et l’approbation de ses représentans. Vous avez bien raison de rappeler les paroles de Montesquieu : « Le véritable auteur de la guerre n’est pas celui qui la déclare, mais celui qui la rend nécessaire[1]. » Nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour l’éviter, et je puis dire que c’est la nation tout entière qui, dans son irrésistible élan, a dicté nos résolutions. Je vous confie, en partant, l’Impératrice qui vous appellera autour d’elle, si les circonstances l’exigent. »

Pendant ce discours, je ne m’étais point placé à ses côtés, j’étais resté au milieu des députés. Lorsqu’il dit : L’Impératrice vous appellera autour d’elle, si les circonstances l’exigent, j’eus un soubresaut et, me retournant vers mon voisin Estancelin, je ne pus retenir cette exclamation : « Quelle imprudence ! » Ainsi l’Empereur, qui se plaignait que les journalistes fussent des pronostiqueurs de défaite, les imitait en prédisant, du haut du trône, des circonstances de telle gravité que l’Impératrice serait

  1. Schneider s’était trompé en attribuant cette maxime à Montesquieu. Lanfrey l’a revendiquée, et elle se trouve en effet dans son Histoire de Napoléon, mais il l’avait empruntée lui-même à l’histoire de la Révolution française de Mignet.