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décevante, » « de chercher hors de la vie même un but, une fin de la vie ; » renonçons à la question : à quoi bon vivre « dont nous trouble l’obsession héréditaire de la finalité religieuse… — Il est vrai de chercher à la vie une fin, puisqu’elle est elle-même une fin qui se réalise : nous savons qu’un vivant est une chose qui veut se conserver et s’accroître, une forme qui se réjouit en elle-même et prétend à régir l’univers. Notre finalité, c’est d’être nous-mêmes et d’unir à nous tout ce qui est. Cette finalité, je ne la détermine pas, je ne la choisis pas : j’en prends conscience, je l’accepte et je l’aime, à moins de renoncer à la vie, de me renier moi-même et de m’abandonner à la mort[1]. » C’est la vie même, dit encore M. Delvolvé, avec Nietzsche comme avec Guyau, qui veut « se conserver et s’accroître. » — Mais, demanderons-nous, qu’est-ce qu’accroître la vie ? Là est la question. Il y a bien des manières d’interpréter cet accroissement. Est-ce en quantité, est-ce en qualité et en relations ? Le bien est-il de prétendre à « régir l’univers ? » Voilà l’instinct de puissance de Nietzsche. Le bien est-il « d’unir à nous tout ce qui est ? » Voilà le principe de générosité expansive et aimante, proposé par Guyau. Il faut choisir. « Notre finalité, c’est d’être nous-mêmes, » formule indécise : nous sommes toujours nous-mêmes. Et si l’on veut dire qu’il faut opposer le vrai moi, le moi idéal, au moi réel, en quoi consiste ce moi idéal ? Toutes ces questions sont essentielles pour établir ce que cherche M. Delvolvé, ce que nous cherchons tous : « une doctrine morale vraiment éducative. »

M. Pradines, dans les deux volumes qu’il vient de publier sur la critique des conditions de l’action[2], pousse jusqu’aux extrêmes limites la pensée de Guyau. Il le loue d’avoir si bien vu que le caractère inconditionnel de l’action, son désintéressement, « loin d’exprimer la dépendance de l’activité à l’égard d’une loi qui la contraigne, exprime l’entraînement de l’activité vers l’idéal indéterminé que lui crée son mouvement même[3]. » L’action est inconditionnelle « parce qu’elle se crée son bien, loin d’en dépendre. » Cette idée seule permet de donner un sens à cette formule : l’intérêt de l’individu. L’intérêt de

  1. Delvolvé, l’Organisation de la conscience morale, Alcan, p. 74.
  2. L’Erreur morale, par Maurice Pradines, 1909 ; Principes de toute philosophie de l’action, par le même, 1909. Paris. Alcan.
  3. Principes de toute philosophie de l’action, p. 279-280.